Responsabilité médicale : le préjudice spécifique de contamination

« Responsable mais pas coupable », telle était la défense des principaux protagonistes lors de la retentissante affaire du sang contaminé dans les années 80.

Face à la multiplication des cas de contaminations consécutifs à la transfusion de produits sanguins ou d’injection de médicaments dérivés du sang et à l’inadéquation du régime d’indemnisation en vigueur, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite Loi Kouchner, a considérablement simplifié l’indemnisation des victimes du virus de l’Hépatite C ou du VIH post-transfusionnel en créant l’Office National de l’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM).

Si ce mécanisme d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale apparaissait salutaire, le législateur n’avait néanmoins pas pris soin d’établir un poste de préjudice spécifique aux victimes post-transfusionnelles.

Il est important de souligner que d’une manière générale, l’évaluation des préjudices corporels est soumise à la date de consolidation fixant le moment où les dommages cessent d’évoluer, de sorte qu’aucune indemnisation définitive ne peut intervenir tant que la consolidation n’est pas acquise.

Or, dans le cas de pathologies évolutives telles que le VIH ou l’Hépatite C, il n’est pas permis d’atteindre un niveau satisfaisant de consolidation rendant difficile l’indemnisation des préjudices consécutifs.

Pour pallier ces difficultés, le préjudice spécifique de contamination a été reconnu.

Initialement réservé aux victimes séropositives et définit comme « un préjudice personnel et non économique recouvrant l’ensemble des troubles dans les conditions d’existence entraînées par la séropositivité puis, s’il y a lieu, par la survenance du Sida déclaré », le préjudice spécifique de contamination a vu son champ d’application étendu aux autres pathologies évolutives telles que l’Hépatite C.

Désormais, outre les postes de préjudices réparables classiques tels que le déficit fonctionnel permanent (DFP), les souffrances endurées ou encore le préjudice d’agrément, la nomenclature DINTHILLAC prévoit également l’indemnisation d’un préjudice spécifique aux victimes de contamination transfusionnelle : le préjudice de contamination.

La jurisprudence l’a défini comme « l’ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques et résultant, notamment, de la réduction de l’espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle, ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d’agrément ainsi que de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie » (C. cass. Civ. 2ème, 2 avril 1996, n°94-15.676).

Les modalités d’appréciation du préjudice spécifique de contamination ont progressivement été précisées par la jurisprudence.
D’une part, par faveur pour les victimes mais en contradiction avec ce qui caractérisait traditionnellement ce poste de préjudice à savoir son caractère évolutif, la Cour de cassation a considéré que la guérison ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice subi par la victime.

D’autre part, la jurisprudence a élevé en condition à la réparation du préjudice spécifique de contamination la conscience de la pathologie par la victime en considérant notamment que « le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination ».

Ainsi, une victime qui ignore la pathologie évolutive dont elle est atteinte ne pourrait se voir indemniser du préjudice de contamination.

Cette condition entre cependant en contradiction avec la jurisprudence relative aux personnes en état végétatif.

En effet, au même titre qu’une personne atteinte du VIH ignorant être atteint d’une telle pathologie, la personne en état végétatif n’a pas conscience des préjudices qu’elle subie.

Or, la Cour de cassation a très clairement considéré, s’agissant d’une personne en état végétatif, que « l’indemnisation d’un dommage n’est pas fonction de la représentation de la victime mais de sa constatation par le juge et son évaluation objective » avant d’affirmer que « l’état végétatif d’une personne humaine n’excluant aucun chef d’indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments ».

Il est regrettable d’ajouter une condition dans l’appréciation du préjudice de contamination alors même que le souci de protection des victimes les plus vulnérables induirait une présomption de dommages.

< Retour