Tribunal Correctionnel de Bordeaux, 5eme chambre, Audience du 14 Mars 2017
J’intervenais dans ce dossier aux côtés de mon confrère et ami pénaliste Alexandre Novion.
L’homme qui nous avait mandaté pour assurer sa défense se voyait reprocher d’avoir détenu et transporter, sans autorisation une arme avec ses munitions de la catégorie B.
Les faits étaient reconnus, ce qui est souvent le cas s’agissant de ce type d’infraction puisque seule la qualification matérielle compte, et l’affaire pouvait donc présenter en apparence tous les éléments de la simplicité
La complexité du dossier résidait dans le contexte de commission de l’infraction…..
En effet notre client, issu de la communauté dite « des gens du voyage » s’était fait remettre cette arme à la suite du meurtre de l’un de ses fils, sur la commune de Bordeaux, au milieu d’une foule de passants stupéfaits, le soir d’un concert d’Hélène Ségara.
Ce père de famille nombreuse craignait que ne se reproduise sur d’autres membres de sa famille ce même type de faits, ces derniers étant intervenus dans un contexte de rivalité amoureuse entre membres de deux familles, digne du conflit ayant opposé les CAPULETI et les MONTECCHI dans le célèbre ouvrage de Shakespeare.
Assuré du concours et de la protection des services de gendarmerie dans cette affaire, ce dernier avait alors restitué l’arme à son propriétaire.
Six mois plus tard, cette dernière devait néanmoins être utilisée dans le cadre d’une tentative de meurtre, la victime ayant miraculeusement survécu à ses blessures.
C’est dans le cadre de cette autre enquête criminelle que la police scientifique mettait en évidence la présence de l’ADN de notre client sur l’une des douilles retrouvées sur la scène de crime.
Remontait alors à la surface la détention préalable de cette arme par notre client et pour ce dernier l’amer souvenir de ces sombres heures de deuil où les minutes défilent avec la lenteur des montagnes qui s’étirent.
Aux réquisitions du procureur de la république (un an de prison ferme) qui tentait de refaire l’instruction criminelle pour tentative de meurtre et d’y associer notre client en lui faisant porter une part de responsabilité ( morale) de ces faits, je tentais de faire comprendre au Tribunal que seuls devaient être jugés les faits commis et reconnus par notre client, et que si un contexte devait être pris en compte ce n’était en aucun cas celui qui était été intervenu postérieurement à la détention de l’arme, mais bien celui qui en constituait sa genèse.
Montaigne n’a-t-il pas écrit qu’« un homme incapable de passion ou sans énergie à s’y livrer n’est rien du tout ».
Or précisément, cet homme s’était procuré une arme sous l’emprise de la douleur et de la peur pour sa famille qui constituent toutes deux les stigmates de la passion.
Je demandais ainsi au tribunal de retenir ce contexte, la très faible durée de détention et SURTOUT de faire mentir Albert COHEN qui avait pu écrire dans le livre de ma mère que « chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. ».
Après une heure de délibéré, notre client était finalement condamné à une peine de 6 mois de prison intégralement assortie du sursis simple.
Justice avait été rendue.
Source Sud Ouest du 16 mars:
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