Publié dans les Echo judiciaires Girondins dans les revues des 27 et 29 janvier 2016
Le DPA est mort, vive le DPA !
Le droit pénal s’immisce avec vigueur au sein du droit civil pris dans son expression la plus large (droit commercial, droit de la concurrence, droit de la consommation,…).
En effet, le souci de préserver un juste équilibre des prestations entre des parties de forces économiques, techniques ou intellectuelles inégales préoccupe de plus en plus le juge pénal.
Cependant, cet épandage excessif fait sortir le droit pénal de son pré carré, soit la répression des atteintes les plus graves aux valeurs sociales fondamentales.
Cette pénalisation rigoriste, cohabitant avec une inflation législative et des incertitudes jurisprudentielles se concilie difficilement avec la vie économique des entreprises.
Les dirigeants sociaux se trouvent ainsi drapés d’une angoisse asservissante dans leur prise de décisions où le luxe de précaution prévaut, ralentissant voire paralysant indubitablement leurs actions.
Pire encore, cette « furie répressive » annihilait l’attractivité du modèle économique français, déjà meurtrie par un désamour croissant des investisseurs étrangers.
La dépénalisation de la vie des affaires apparaissait alors comme une impérieuse nécessité.
Si les espoirs les plus intenses étaient permis lorsqu’a débuté le processus de dépénalisation de la vie économique au début des années 2000, c’était sans compter sur un retour en force de la judiciarisation du monde des affaires.
I/ Les prémices d’une dépénalisation a minima de la vie économique
La loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite loi NRE du 15 mai 2001, a amputé l’arsenal répressif d’un certain nombre d’infractions et notamment le fait de ne pas transmettre avant l’assemblée général des documents d’une SARL, le fait de négocier des promesses d’actions ou encore le fait de faire des fausses déclarations concernant la souscription ou le versement de fonds.
Il s’agissait notamment de vaincre l’inutilité de certaines infractions redondantes, punissables à la fois au titre d’infractions spécifiques et d’infractions de droit commun telles que l’escroquerie ou le faux en écritures.
Ce faisant, la loi NRE répondait à la préoccupation constitutionnelle de nécessité des incriminations et redonnait au droit pénal davantage de lisibilité.
Le phénomène s’est poursuivi avec la loi sur la sécurité financière et sur l’initiative économique, dite loi LSF du 1er août 2003.
La motivation première de la loi LSF était de lutter contre l’inefficacité des infractions ne punissant que la violation d’obligations formelles.
L’adage latin « de minimis non curat praetor » retrouvait ainsi de sa superbe et le droit pénal pouvait reconquérir ses lettres de noblesse en se concentrant sur les comportements frauduleux les plus sérieux.
Ainsi, la loi LSF a notamment supprimé aux rangs des infractions le non-respect des règles sur le droit de vote en assemblée générale ou le défaut de convocation des associés à l’assemblée annuelle par le liquidateur.
Par l’ordonnance du 24 juin 2004 relative aux valeurs mobilières, le fait de ne pas établir des procès-verbaux pour constater les délibérations du conseil d’administration n’était plus réprimé pénalement tout comme la participation à la négociation illicite d’actions.
Le chemin était ardu mais la volonté d’une refonte complète du droit pénal des affaires était confirmée par la mission confiée par la Garde des Sceaux en 2008 à la Commission COULON du nom du magistrat qui l’a présidé, Jean-Marie COULON.
Sa mission était claire : « mener une réflexion sur l’ensemble des sanctions pénales qui s’appliquent aux entreprises en matière de droit des sociétés, de droit financier et de droit de la consommation » et « formuler des propositions afin de limiter le risque pénal des entreprises et d’envisager des modes de régulations plus adaptés à la vie économique ».
Poursuivre les efforts d’antan et ressouder le droit pénal des affaires autour d’un noyau dur repensé et réservé aux actes les plus répréhensibles, tel était le leitmotiv.
Ainsi, la Commission proposait notamment de désengorger le droit de la concurrence d’une partie de son volet pénal en élargissant les compétences du Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante, dont l’efficacité et les compétences techniques sont reconnues par tous.
Elle suggérait donc de dépénaliser notamment les règles relatives aux contrats de coopération commerciale, la revente à perte ou encore l’imposition d’un prix de revente minimal.
Etait également proposé le développement de l’injonction de faire, sanction civile, permettant de demander au juge d’ordonner, au besoin sous astreinte, l’exécution d’une obligation comme substitutif aux sanctions pénales jugées trop rudes pour le monde des affaires.
Ces préconisations n’ont cependant pas été suivies d’effet. Pire encore, il est permis d’observer une résurgence et un renforcement du pénal sur la vie économique.
Une partie de la doctrine critiquait à juste titre ce mouvement de dépénalisation, non dans son principe qui était unanimement salué mais dans sa mise en œuvre jugée trop sélective en mettant de côté les infractions les plus graves au premier rang desquelles se trouve l’abus de bien social.
Ainsi, à l’allure tarpéienne, la foudre pénale s’est déplacée continuant de frapper un pan important du droit des affaires.
II/ Le vœu pieux d’une dépénalisation globale du droit des affaires
Les propositions émises par la commission COULON étaient intéressantes mais n’ont pas été concrétisées par le législateur.
Ainsi, faute d’avoir été au bout du processus, le droit de la consommation mais également le droit de la concurrence ou encore le droit des sociétés continuent d’être placés sous le joug du droit pénal à travers notamment l’incrimination des pratiques commerciales trompeuses, la tromperie ou la fraude sur les qualités substantielles d’une marchandise ou d’une prestation de services.
De la même manière, l’abus de bien social, comparable à l’irréductible village gaulois, n’a pas fait partie du convoi de la dépénalisation.
Figure symbolique de la rencontre entre le droit pénal et la vie des affaires, l’abus de bien social se devait pourtant de subir un lifting nécessaire tant il portait en lui une grande partie des griefs cristallisés autour de la pénalisation de la vie économique.
La commission COULON avait singulièrement mis l’accent sur la trop grande imprécision de l’incrimination d’abus de bien social dont le champ a évolué en fonction de la jurisprudence aboutissant à une véritable insécurité juridique. Elle avait notamment proposé de fixer le point de départ de la prescription en matière d’abus de bien social mais d’en allonger le délai à 7 ans au lieu de 3.
Défini aux articles L.241-3 et suivants du Code de commerce, l’abus de bien social se trouve subdivisé en quatre incriminations différentes : l’abus de bien social stricto sensu, l’abus de crédit, l’abus des pouvoirs et l’abus des voix, incriminations qui revêtent en réalité le même type d’acte à savoir l’abus de gestion.
L’élément matériel de ce délit se définit comme un acte d’usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix contraires à l’intérêt social.
La difficulté principale réside ici dans l’imprécision textuelle et donc l’incertitude de la notion d’intérêt social conférant au juge un large pouvoir d’appréciation.
Ainsi, à titre d’exemple, il a été jugé que la perception par un dirigeant de rémunérations hors de proportion avec le travail effectué, et attribuées par une commission occulte s’étant substituée au conseil d’administration est nécessairement contraire à l’intérêt social (Cass. crim., 13 janvier 2010, n°09-81.170).
De même, le soutien de trésorerie important fait sans contrepartie au profit d’une autre société dans laquelle les dirigeants de la première étaient intéressés s’analyse en un abus de bien social (Cass. crim., 15 décembre 2010, n°09-87.651).
Enfin, est constitutif d’un abus de bien social, le fait de disposer dans une SARL ou une SA d’un compte-courant débiteur (Cass. crim., 8 janvier 2014, n°13-80.087).
Ces quelques exemples démontrent que l’acte d’usage dans l’abus de bien social revêt un champ d’application extrêmement vaste.
L’abus de bien social souffre également d’un régime dérogatoire s’agissant de la prescription de l’action publique.
Par un arrêt de principe ancien, la Cour de cassation avait jugé qu’il convenait de reporter le point de départ de la prescription au jour de la constatation de l’abus de bien social et non pas au jour de sa commission comme le prévoit les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale.
Face aux critiques unanimes de la doctrine concernant la quasi-imprescriptibilité de l’abus de bien social, la jurisprudence a légèrement nuancé sa position en jugeant que « la prescription en matière d’abus de biens sociaux courait, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels » (Cass. crim., 2 avril 2014, no 13-80.010).
Le Marquis de La Palisse n’aurait pas mieux dit !
En effet, l’abus de bien social est majoritairement une infraction occulte de sorte que l’exception en devient le principe.
Pire encore, non définie par les textes, la notion de dissimulation reste soumise à l’aléa jurisprudentiel et aux interprétations vacillantes des juges du fond.
Les pouvoirs du juge tant dans la définition de l’incrimination d’abus de bien social que dans sa poursuite et sa répression, sont ainsi renforcés ce qui n’est pas étranger au regain actuel des « affaires » touchant tant les grands dirigeants sociaux, les politiques ou le monde du football.
Ainsi, plus le législateur démissionnera face à l’ardeur de sa tâche, plus le juge sera tenté de s’y substituer, ce qui n’est pourtant ni son rôle ni dans ses attributions.
En effet, les imprécisions textuelles nourrissent les imprécisions jurisprudentielles et favorisent l’insécurité juridique tant il est d’une triste évidence que le juge de Château Thierry ne juge pas comme celui de Paris ou de Bordeaux.
Cette insécurité juridique patente dort malheureusement dans le même lit que l’arbitraire judiciaire.
Les volontés d’hier forment les déceptions d’aujourd’hui. Boileau avait pourtant prévenu en affirmant « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ».
Si l’on ne peut qu’approuver Montesquieu lorsqu’il affirme qu’« il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » c’est à la seule condition d’ôter les moufles.
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