Tribunal Correctionnel de Bordeaux 5ème Chambre, 31 mars 2017 à 14h
Une partie de pêche illégale à la Pointe du Ferret : retour sur cette audience où il était question de violences volontaires, de légitime défense et de violation domicile
J’intervenais ce vendredi 31 mars devant le Tribunal Correctionnel de BORDEAUX dans l’intérêt de Monsieur B, résidant à l’extrême Pointe du Cap Ferret.
Dans la nuit du 20 décembre, ce dernier se trouvait dans sa chambre quand une personne qu’il accueillait chez lui, inquiété par des intrusions bruyantes l’a alerté.
Monsieur B. trouvait alors sur sa propriété deux jeunes intrus qui pêchaient sur la digue, passablement éméchés, qui ont quitté les lieux sans difficulté, tandis que deux pêcheurs, comme tant d’autres avant eux, ont décidé de s’y maintenir de vive force.
Ils n’étaient à ce moment-là avec leurs affaires, ni sur la plage, ni sur le domaine public, concédé ou pas, mais bien chez Monsieur B., ce qu’ils ont reconnu dans leur déposition chez les gendarmes.
Ce dernier, malheureusement habitué de ce type d’intrusions sur son terrain, n’avait d’autre choix que de tirer en l’air, avec une carabine à plombs, deux coups de semonces, depuis le pas de la porte de sa maison, afin de faire fuir les deux pêcheurs qui s’étaient montré très menaçants et se trouvaient désormais une centaine de mètres de son lieu d’habitation
Il s’agissait de leur faire comprendre qu’ils devaient absolument quitter ces lieux en raison de risques d’érosion et donc de danger pour leur sécurité comme le rappelait pourtant la signalisation aux abords de la propriété.
Ces derniers consentaient enfin à quitter les lieux. Pourtant, dès le lendemain, ils se rendaient auprès de la Brigade Territoriale Autonome de la gendarmerie de Macau, où ils déposaient plainte pour des faits de violences psychologiques. Leur plainte était d’autant mieux accueillie que, contrairement à leurs homologues de Claouey, ces gendarmes ignoraient tout de la situation subie par Monsieur B. sur sa propriété et de la règlementation préfectorales.
Dès l’instant où Monsieur B. a eu connaissance de cette plainte, il n’a eu d’autre choix que de déposer à son tour une plainte à l’encontre des deux pêcheurs pour violation de domicile et violences volontaires commises en réunion.
De façon surprenante, le Parquet ne décidait de poursuivre que Monsieur B., de sorte qu’il nous a fallu faire délivrer une citation directe aux pêcheurs pour qu’ils aient à assumer la responsabilité pénale de leur démarche et de leurs actes.
La discussion lors de l’audience du 31 mars portait notamment sur la question de la légitime défense de Monsieur B. face à cette intrusion violente, malheureusement non isolée.
En effet, à la suite d’une campagne de dénigrement savamment orchestrée par les autorités locales depuis plusieurs années, quant à l’utilité de la digue qui a pourtant permis de figer le trait de côte et quant à une prétendue appropriation illégale du domaine public maritime, ce qui est faux, de plus en plus de particuliers, riverains ou vacanciers n’hésitent plus à forcer les panneaux d’interdiction et les barrières de sécurité installées par la Préfecture pour profiter de la plage attenante à la Digue, et ce en dépit des plus élémentaires règles de sécurité et de prudence.
Ces derniers mois, Monsieur B. a ainsi dû faire face à toute une série d’intrusions sur sa propriété, dont certaines, parfois violentes, parfois menaçantes.
C’est dans ce contexte que les faits se sont produits.
Il a donc fallu longuement plaider la relaxe de mon client, qui comparaissait notamment en qualité de prévenu.
Il s’agissait d’une part de souligner que ce dernier n’avait en aucun cas eu l’intention de commettre des violences psychologiques sur ces deux solides gaillards puisqu’il s’était contenté de tirer deux coups de semonce en l’air, à une distance certaine, sans avoir à aucun moment mis en joue l’un ou l’autre.
Ainsi, l’élément intentionnel pourtant nécessaire à la caractérisation du délit de violences psychologiques n’était pas constitué, de même qu’aucun choc psychologique n’était établi ou rapporté s’agissant de ces deux pêcheurs, également chasseurs confirmés, qui a priori n’ont pas pour habitude de prendre peur lorsque leurs camarades de chasse tirent sur une cible à proximité d’eux.
Il s’agissait également d’invoquer l’application des dispositions de l’article 122-6 du Code pénal relatives à la légitime défense renforcée, dont les conditions nous semblaient remplies en l’espèce. Les faits s’étaient effectivement déroulés de nuit, dans un lieu habité, où s’étaient retrouvé les pêcheurs qui y étaient entrés par effraction, violence ou ruse dans la mesure où ils avaient franchi les limites d’une propriété marquées par de multiples interdictions et panneaux préfectoraux.
Par hypothèse, le texte n’impose pas que soit mis en évidence une menace ou un danger pour la personne, et n’exige pas non plus de proportionnalité dans la riposte.
Les deux prévenus pêcheurs persistaient à afficher leur conviction d’être dans leur bon droit face à quelqu’un qui se serait approprié le domaine public maritime, et ce en dépit des explications et justifications qui ont pu être fournies, documents de la Préfecture à l’appui.
Selon Maya Angelou[1],« Les préjugés sont un fardeau qui obscurcit le passé, qui menace l’avenir et qui rend le présent inaccessible ».
Les débats ont au moins permis au représentant du Ministère Public de revoir sa position puisqu’après avoir affiché une certaine hostilité à l’égard de notre client, ce dernier a fini par concéder et requérir que le fondement principal de notre poursuite sur citation directe, la violation de domicile privé, lui semblait caractérisée en l’espèce.
Le Tribunal devra donc arbitrer sur la base de ces éléments et statuer également sur les demandes pécuniaires exorbitantes des deux pêcheurs (entre 5.000 et 6.000 €) dans cette affaire qui a pourtant pour origine leur incivilité et le non-respect de la règlementation en vigueur, ce qui est assez révélateur de l’objectif premier de leur démarche.
S’agissant de Monsieur B., il a été requis une peine de 2 mois de prison avec sursis qui, je l’espère, ne sera pas accueillie par le Tribunal.
Le verdict est attendu le 14 avril prochain.
[1] Maya Angelou : écrivain-poète et militante pour les droits civiques des Noirs Américains
Pour écouter l’intervention sur France Bleu Gironde: https://itun.es/fr/uYhUib.c
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