Relaxe pour un chef d’entreprise poursuivi pour travail dissimulé aggravé

Le gérant d’une entreprise générale de bâtiments était poursuivit devant le Tribunal correctionnel de Bordeaux pour plusieurs infractions relatives au travail dissimulé. Tribunal correctionnel de Bordeaux, 4ème chambre économique et financière, 24 Novembre 2022 Trois infractions étaient visées par l’acte de poursuite:

  • travail dissimulé aggravé par dissimulation de salariés
  • travail dissimulé aggravé par minoration d’horaires
  • emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail

Alors que la société était parfaitement en règle vis-à-vis de ses obligations déclaratives fiscales et sociales, cette dernière devait se trouver brutalement sur l’écran radar de la justice.

En effet, un individu de nationalité étrangère et démuni de titre de travail déposait plainte contre le gérant de l’entreprise.

Il prétendait avoir été employé sur de nombreux chantiers et ne pas avoir été réglé de la totalité des sommes qui lui étaient dues. Et précisait n’avoir jamais reçu de bulletin de paye ni de contrat de travail. Mais il était en capacité de fournir le nom du gérant et son numéro de téléphone portable. Il précisait avoir été rémunéré pour certains chantiers par des chèques qu’il avait encaissé sur son compte bancaire. Les enquêteurs, sur ce point, procédaient à une vérification bancaire qui confirmait ses dires.

C’est dans ce contexte qu’une enquête préliminaire était diligentée contre la société et son gérant pour travail dissimulé.

Ce dernier était rapidement entendu par les enquêteurs de même que sa responsable de service. Tous deux contestaient avoir recruté le plaignant comme salarié. Ils précisaient qu’il pouvait s’agir d’un individu dont ils avaient effectivement vaguement connaissance. Mais que ce dernier avait été recruté par une entreprise sous-traitante et n’était aucunement leur salarié. S’agissant des chèques de la société encaissés sur le compte bancaire du plaignant, le gérant indiquait qu’il les avait remis a sous traitant pour réglement de ses prestations. Il précisait qu’il n’avait pas renseigné l’ordre et que peut-être ce celui-ci les avait transmis directement à son salarié.

De façon assez surprenante les enquêteurs ne procédaient à aucune vérification s’agissant des déclarations du plaignant.

Pourtant, la plainte déposée était particulièrement vague et imprécise s’agissant notamment :

  • des horaires de travail
  • du lieu des chantiers sur lequel le plaignant aurait été missionné
  • des conditions de réception du matériel,
  • de location de véhicules,

Pas la moindre analyse téléphonique pour voir si le plaignant et le gérant de l’entreprise avaient effectivement été en contact de façon régulière. Aucune vérification s’agissant des affirmations du plaignant concernant la location de véhicule. Ce qui pourtant aurait permis de vérifier :

  • la véracité de ses déclarations
  • de voir à quel nom le véhicule avait été loué
  • et pour le compte de quelle entreprise

Pire encore, les déclarations de notre client ne faisaient l’objet d’aucun acte d’enquête.

Le partenaire contractuel sous-traitant dont il avait donné l »identité et qu’il désignait comme le véritable bénéficiaire des chèques n’était jamais entendu. Par contre, les enquêteurs procédaient à des réquisitions bancaires. Ils réalisaient ainsi une analyse intégrale des comptes bancaires de la société. Ils établissaient alors sur la base de leurs constatations une liste de 79 personnes qui selon eux seraient des salariés non déclarés.

Cette liste était arrêtée sur le simple constat que des individus avaient encaissé des chèques émis par la société.

Ces personnes, pourtant clairement identifiées en procédure n’étaient pas entendues.

Notre client n’était interrogé que de façon lapidaire sur l’identité de quelques un des membres de cette liste. Mais aucunement sur la liste complète. Les explications qu’il fournissait conduisaient les enquêteurs à retirer de cette liste la plupart des individus sur lesquels il était interrogé.

Il apparaissait en effet qu’ils étaient pour l’essentiel des auto entrepreneurs intervenant dans le bâtiment. Ces derniers seraient donc bien intervenus en qualité de sous-traitants.

Notre client expliquait également qu’il avait pu remettre certains chèques dont l’ordre n’avait pas été renseigné. Ainsi certains des artisans a qui il avait sous traité avaient pu remettre ces chèques à certains de leurs proches. Aucune autre vérification n’était effectuée.

C’est donc sur la base de ces seuls éléments d’enquête que notre client était poursuivi devant la juridiction correctionnelle.

Ce dernier, nous remettait des factures que certains artisans lui avaient adressé dans le cadre de ces sous traitances. Il produisait également le numéro sirène d’enregistrement d’autres artisans dont les noms figuraient sur la liste des enquêteurs en tant que salarié dissimulé. Certains encaissements pouvaient également s’expliquer par l’achat de matériel à des professionnels intervenant dans le même secteur. C’est dans ces conditions que nous nous présentions devant le tribunal correctionnel pour plaider la relaxe intégrale de notre client.

Sur les 79 noms figurant dans la liste initiale, seule vingt remises de chèque ne pouvaient être justifiées.

Nous avons donc souligné :

  • l’absence d’investigations à décharge effectuées lors de l’enquête
  • les actes d’investigations élémentaires qui auraient dû être réalisés et qui ne l’ont pas été

Nous avons souligné que ces investigations étaient nécessaires pour la manifestation de la vérité.  Que leur réalisation aurait permis d’établir la parfaite bonne foi de notre client. Ce dernier n’ayant pas à supporter les carences de cette enquête. Alors même qu’il y avait manifestement participé sans chercher à y faire obstacle.

Il s’agissait aussi de rappeler le parcours professionnel de cette homme au casier judiciaire vierge. Ancien compagnon du devoir, il avait toujours été animé par le souci de fournir un travail de qualité.

Ce dernier avait commencé son activité professionnelle en tant qu’auto entrepreneur. Avant de créer son entreprise pour structurer son activité.

Il avait été amené à travailler avec des cabinets d’architectes et un promoteur immobilier.  Ce dernier était devenu son client principal et lui fournissant près de 80 % de son chiffre d’affaires.

Placé dans une situation de quasi dépendance économique, il lui était difficile de refuser les chantiers qui lui étaient proposés. Il avait donc dû faire face en urgence à ce rapide accroissement d’activité et avait donc été contraint de recourir à des sous-traitants pour pouvoir honorer les prestations qui lui étaient demandées. C’est donc dans ce contexte de fort accroissement d’activité que les faits s’étaient déroulés.

L’URSSAF qui avait été contacté par les enquêteurs s’est constitué partie civile à l’audience.

Elle sollicitait un rappel de cotisation de prés de 200 000 €.

Ses calculs, particulièrement hâtifs avaient été arrêtés sur l’hypothèse de 79 salariés non déclarés.

Le parquet, malgré les lacunes de l’enquête requérait la condamnation de notre client pour l’ensemble de la prévention.

Une peine d’emprisonnement de huit mois avec sursis outre 15 000 € d’amende et une interdiction de gérer pendant deux ans étaient requis. Le tribunal, dans sa grande sagesse, a heureusement pris acte des carences de l’enquête.

Les doutes qui pesaient sur les charges reprochées a notre client ont été retenus. De même que ses efforts pour établir sa bonne foi. Ce dernier a donc été relaxé des infractions de travail dissimulé aggravé par dissimulation de salariés, travail dissimulé aggravé par minoration d’horaire et emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail. Compte tenu de cette relaxe, la demande de redressement de l’URSSAF a également été rejeté.

Notre client peut donc aujourd’hui poursuivre son activité après avoir mis en place des règles de gestion plus rigoureuses. Il échappe également à une condamnation personnelle et à un redressement URSSAF particulièrement lourd. Il peut désormais envisager l’avenir  plus sereinement et préserve sa capacité à maintenir une activité professionnelle pérenne.

Pour une autre affaire de travail dissimulé traitée par le cabinet : https://www.jplouton-avocat.fr/actualites-du-cabinet/travail-dissimule-cabinet-obtient-nullite-citation

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