Le cabinet lance une procédure en contrefaçon et parasitisme commercial pour l’artiste bordelais Laurent Durrey

Effet palissade de métro garanti. C’est d’ailleurs sa signature. On se croirait devant un mur couvert et recouvert d’affiches partiellement arrachées au fil du temps, le tout formant un tableau des plus originaux. Envahi par toutes ces affiches qui constituent sa matière première, décollées et déchirées aux quatre coins de l’Europe quitte à monter sur une grue ou à faire des centaines de kilomètres en camion pour les récupérer, l’artiste bordelais Laurent Durrey semble désordonné.

C’est tout le contraire. « Mon atelier est un bazar organisé », sourit-il. « Mes toiles aussi. » Une ligne de couleur, une découpe maîtrisée, un lettrage rectiligne, un personnage central et surtout, une histoire que lui seul peut raconter.

Averti par mail

Ce cheminement artistique le fait voyager dans son enfance et son adolescence peuplées de paysages, de héros, de vedettes de cinéma, d’icônes, de pin-up, de gros bras et de fines gâchettes, de voitures vrombissantes et de musique et le conduit, seul, la nuit, dans les rues dont il respire l’ambiance et la culture prégnantes. De toiles en toiles, il a commencé à vendre. À être reconnu puis connu. Il a notamment travaillé à la galerie Next à Toulouse avant de cesser toute collaboration pour en préférer une autre, toujours dans la ville rose, ce qui ne l’empêche pas d’exposer à Lyon, Paris, Honfleur, sur la côte d’Azur.

Jusqu’à ce qu’en fin d’année dernière, il ne reçoive des mails de collectionneurs et acheteurs lui indiquant qu’un artiste exposait dans son ancienne galerie des toiles reprenant les caractéristiques essentielles de ses œuvres ! Pas une ni deux toiles, mais plus d’une dizaine… « Je me suis dit : mais qu’est-ce que c’est que ce spectacle ! » Laurent Durrey a rapidement compris qu’il connaissait, un peu, celui qui l’imitait. Emmanuel Albaret, un jeune coiffeur albigeois lui avait en effet téléphoné en janvier 2014, en assurant être un grand fan, avoir reçu un choc psychologique en regardant ses toiles. Il avait même sollicité des conseils sur son propre travail. « Mais là, ce n’est pas un amateur qui a un coup de cœur et qui essaie de faire la même chose pour lui », soupire Laurent Durrey. « C’est quelqu’un qui s’approprie le travail d’un autre et reproduit pour se faire de l’argent. »

D’autant que les ressemblances prêtant à confusion ne s’arrêtent pas là. L’Albigeois se fait prendre en photo dans les mêmes positions que Laurent Durrey, assis au milieu de ses affiches. Son site le présente avec les mêmes mots que ceux écrits pour la biographie de Laurent Durrey et il est venu dans la nouvelle galerie du Bordelais contempler son travail.

Assignation devant le TGI

Tout cela tourmente quelque peu Laurent Durrey. Il a du mal à travailler, à trouver l’inspiration. « Je me dis que si je mets un tableau sur Facebook, il sera copié dans les trois mois. » Il a donc assigné la galerie et l’affichiste albigeois devant le tribunal de grande instance de Bordeaux. Pour contrefaçon, parasitisme commercial et dénigrement commercial.

« Selon le principe dégagé pour les arts appliqués, la contrefaçon est réalisée dès l’instant où l’œuvre originale a été copiée dans toutes ses caractéristiques essentielles de fantaisie qui l’individualisent », argumente Me Julien Plouton, citant la jurisprudence.

« Dès lors que les ressemblances entre les modèles incriminés sont dominantes, et que les dissemblances ne portent que sur des points de détail et ne parviennent pas à effacer l’impression de quasi identité qui se dégage de leur comparaison. »

De pâles copies qui dénatureraient l’œuvre originelle. Et sont vendues à un prix inférieur créant ainsi une concurrence déloyale et un risque d’assimilation et de confusion, puisque même les collectionneurs ont arrêté leur regard sur ces toiles avant de crier au plagiat et à l’escroquerie.

« Laurent Durrey n’est pas détenteur de l’affichisme », rétorque Jean-Pierre Martin, gérant de la galerie Next, accusé de dénigrement commercial. « La signature artistique n’est pas la même. Sur le même type d’affiche, chaque artiste peut évoluer tranquillement. Et Emmanuel Albaret, qui travaille avec un cinéma, a des milliers d’affiches à disposition. Il est courant qu’un artiste montant doive faire son trou et se heurte à d’autres. »

« Les affiches ne m’appartiennent pas, la couleur jaune ne m’appartient pas et il y a de la place pour chacun », admet Laurent Durrey. « Mais chaque artiste doit trouver sa ligne. « Le parti pris esthétique emprunt de la personnalité de Laurent Durrey a été imité », conclut Me Plouton.


Source Sud-Ouest 23/07/2015: Des accusations de copies déchirent deux affichistes

< Retour