Tribunal Correctionnel de TOULOUSE, Chambre collégiale, 3 octobre 2017
L’horizon s’éclaircit pour notre client. Après des réquisitions de 4 ans ferme à l’encontre de notre client, le Tribunal entend nos arguments et réduit cette peine de 15 mois via un sursis avec mise à l’épreuve. Compte tenu de la détention provisoire déjà effectuée, notre client est d’ores et déjà en droit de solliciter un aménagement de peine en vue d’une remise en liberté.
Tout commence sur les bords du fleuve Maroni dont les eaux boueuses forment la frontière naturelle entre le SURINAM et la GUYANE, lequel fleuve tire son nom des Marrons, ces esclaves qui, dès le XVIIème siècle, s’affranchirent du joug colonial, fuirent les plantations et devinrent piroguiers pour le compte d’orpailleurs.
Aujourd’hui encore, ce fleuve est symbole de fuite, celle d’une population guyanaise exsangue dont 44% d’entre elle vit sous le seuil de pauvreté, confrontée à un taux de chômage de 22%, lequel atteint 47% s’agissant des jeunes de moins de 25 ans.
Ce désœuvrement économique constitue un terreau idéal pour les recruteurs de mules, ces hommes et femmes qui acceptent pour quelques milliers d’euros de se transformer en « sac de mort », chargés d’ovules cocaïnées logées dans le fond de leurs entrailles afin d’alimenter le marché métropolitain.
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Après plusieurs heures d’avion en provenance de CAYENNE, Monsieur K M. débarquait à TOULOUSE en direction d’un appartement du centre ville. Alors qu’il tentait d’expulser, non sans douleur, les multiples ovules ingérés, un incendie se déclenchait.
La visite de sécurité des lieux effectuait par un équipage de la Direction centrale de la sécurité publique de TOULOUSE amenait la découverte d’un sac contenant 83 ovules de cocaïne pour un poids total de 780 grammes.
La mule était immédiatement interpellée puis conduite à l’hôpital aux fins de vérifier la présence d’ovules in corpore par le biais d’une radiographie, laquelle mettait en évidence la présence de 18 ovules supplémentaires dans son appareil digestif.
Une information judiciaire était ouverte des chefs d’importation, de transport, d’acquisition, de détention et de cession de produits stupéfiants.
Les investigations sur commission rogatoire laissaient apparaître un réseau de trafic de cocaïne entre la GUYANE et TOULOUSE au sein duquel intervenait plusieurs protagonistes dont le rôle devait être déterminé.
Lors de ses auditions en garde à vue, Monsieur K M. décrivait le mode opératoire. Parti du SURINAM après avoir avalé une centaine d’ovules, il avait été réceptionné à PARIS, puis pris en charge jusqu’à l’appartement toulousain. Il fournissait les coordonnés d’un certain Déon lequel avait organisé son voyage en réservant les billets d’avion et en prévoyant sa réception.
Les investigations permettaient d’identifier ladite personne comme Monsieur J A. Les différentes surveillances techniques et géolocalisation des véhicules révélaient que celui-ci se rendait à plusieurs reprises à la gare de TOULOUSE pour y réceptionner des personnes qui leur fournissaient les horaires d’arrivée ou auxquelles il communiquait son adresse lorsqu’il ne pouvait se déplacer.
Le 15 novembre 2016, Monsieur J A. était interpellé à son domicile ainsi que Monsieur R A. identifié comme étant une mule. La perquisition du domicile permettait de découvrir de nombreux téléphones portables, des sachets de cocaïne dont une partie conditionnés en ovules pour un poids total de près de 500 grammes ainsi qu’une importante somme d’argent.
L’exploitation des téléphones saisies lors de la perquisition permettait de constater que Monsieur J A. recevait de nombreuses photos de cartes d’identité, des billets d’avions et des réservations de voyages pour des personnes originaires de GUYANE, mules passées ou futures
Les recherches effectuées à partir des pièces d’identité et les réquisitions adressées aux compagnies aériennes permettaient de constater qu’un dénommé Claude A. avait effectué plusieurs réservations et que l’une d’entre elles, correspondant au trajet CAYENNE-PARIS, n’avait pas encore était utilisée.
Le 25 novembre 2016, les enquêteurs mettaient en place un dispositif de surveillance lequel permettait de constater qu’à son arrivée à TOULOUSE, Monsieur C A. était rejoint par une personne, identifiée par la suite comme JP A., cousin de J A. Les deux personnes se séparaient devant un hôtel place du Capitole.
Les enquêteurs procédaient à l’interpellation simultanée des deux individus.
Placé en garde à vue, Monsieur JP A. reconnaissait avoir été contacté par la mule après avoir appris l’interpellation de Monsieur J A. Il reconnaissait l’avoir pris en charge jusqu’à l’hôtel afin qu’il expulse les ovules de cocaïne.
Devant le magistrat instructeur, Monsieur JP A. reconnaissait avoir réceptionné 4 ou 5 mules.
Il expliquait être venu en métropole afin de subir une intervention chirurgicale des yeux pour poursuivre sa profession de chauffeur, opération qui n’avait finalement pas eu lieu à défaut de carte vitale. Il précisait avoir été contacté après son arrivée sur le territoire métropolitain afin de prendre en charge une mule, lequel avait accepté pour des raisons financières.
Par ordonnance en date du 11 août 2017, le juge d’instruction renvoyait les différents protagonistes devant le Tribunal Correctionnel de TOULOUSE des faits d’importation, de transport, d’acquisition, de détention et de cession de produits stupéfiants. Il considérait que le réseau s’articulait autour de 3 mules, K M., R A. et C A. , lesquelles étaient réceptionnées dans un premier temps par J A. puis par JP A, qualifiés de commanditaires.
Maître PLOUTON était saisi pour assurer la défense de Monsieur JP A. devant le Tribunal Correctionnel de TOULOUSE pour une audience en date du 3 octobre 2016.
Après des considérations générales sur le trafic de stupéfiants ultramarin, Madame le Procureur, dans le sillage d’une politique pénale de plus en plus répressive en matière de trafic de stupéfiants, faisait montre d’une particulière sévérité. Elle requérait deux années d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l’encontre des trois mules, 4 et 5 années d’emprisonnement ferme respectivement à l’encontre de Monsieur J A. et Monsieur JP A.
Maître PLOUTON entendait démontrer devant le Tribunal qu’on avait vêtu son client d’un costume bien trop grand pour lui et que les réquisitions étaient disproportionnées eu égard à la réalité du dossier.
Il rappelait l’importance d’un principe cardinal de la procédure pénale, celui de l’individualisation de la peine. Confronté à la même problématique s’agissant des dossiers de proxénétisme nigérian instruits à la Juridiction Interrégionale Spécialisée (JIRS) de BORDEAUX, Maître PLOUTON réprouvait la politique pénale de dissuasion consistant à condamner lourdement des personnes à titre d’exemple et ainsi décourager les futurs candidats au trafic de stupéfiants.
Tout prévenu ou accusé doit être jugé et condamné à la hauteur des faits qu’il a PERSONNELLEMENT commis et non pas pour des faits qui pourraient potentiellement être commis ultérieurement par d’autres. Au-delà de l’atteinte porté au principe d’individualisation, cette politique est totalement infructueuse.
Maitre PLOUTON entendait également dénoncer les carences de l’enquête. Alors même que les mules et les réceptionnaires avait évoqué lors de leurs auditions les noms des têtes du réseau installées au SURINAM ainsi que leurs numéros de téléphones, aucune investigation n’avait été diligenté pour permettre leur identification. Il n’était pas acceptable que Monsieur JP A., qui n’apparaissait que comme un simple intermédiaire, endosse le costume judicaire des réels organisateurs du trafic, lesquelles demeuraient intouchables.
En outre, les qualifications retenues par la juge d’instruction ne résistaient pas à la réalité du dossier. Alors même que JP A était renvoyé pour cession de produits stupéfiants, aucun client n’avait pu être identifié.
Enfin, Maître PLOUTON invitait le Tribunal à réviser la peine à de plus justes proportions en tenant compte du rôle relatif qu’avait joué son client, proposant en outre d’assortir la peine d’un sursis avec mise à l’épreuve.
Le Tribunal entendait ces arguments et décidait de condamner JP A. à la peine de 4 années d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant 15 mois.
Compte tenu de la période de détention provisoire de plus de 10 mois effectuées par notre client et des remises de peine accordées, ce dernier est immédiatement aménageable de sorte que le cabinet s’attachera à préparer dans les meilleurs délais un projet d’aménagement de peine pour un homme qui jusqu’ici avait toujours fait preuve d’une réelle insertion professionnelle et disposait d’un casier judicaire vierge.
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