Vol de grands crus classés et recel dans le bordelais : épisode 2 : De l’importance de l’étude de la téléphonie et des fadettes

 

Vol de grands crus : Relaxe pour notre client malgré 8 mois de détention provisoire

Jirs de Bordeaux, audience du 1er décembre 2022

Quelques mois à peine après avoir jugé un premier dossier d’envergure relatif à des vols de grands crus bordelais, la JIRS se réunissait à nouveau pour examiner une seconde affaire de vol de grands crus.
La multiplication récente des affaires judiciaires relatives à des vols de grands crus classés rappelle une précédente série noire intervenue dans le courant des années 1980.
Pendant près d’une décennie, un groupe de malfaiteurs, surnommé par les enquêteurs et la presse de l’époque « le gang des Châteaux » avait semé l’émoi et la crainte dans ces milieux feutrés.
Près de trois décennies ont passé. Mais force est de constater que le marché du vin et la spéculation qui l’entoure attise de plus en plus la convoitise de filières clandestines.
Ces dernières cherchent manifestement par tous les moyens à s’approprier ces précieuses marchandises. Dans le but notamment de les revendre sur des marchés étrangers particulièrement actifs. Au prix le plus fort.

Nous intervenions dans ce dossier pour assurer la défense de Monsieur C. Il était présenté comme étant l’un des principaux protagonistes du dossier.

Il lui était reproché la participation à deux cambriolages au préjudice de négociants en vins bordelais.
Ces faits avaient été commis en février 2020 et dans la nuit du 9 au 10 octobre 2020. Respectivement dans le quartier des Chartrons et cours du médoc.
Il était également poursuivi pour des faits de recel.
Les enquêteurs qui avaient perquisitionné sa cave avaient en effet retrouvé de nombreuses bouteilles de vins d’un château renommé.
Ces dernières auraient été subtilisées chez un autre négociant en vin. Dans le cadre d’un cambriolage commis fin janvier 2020.
Le montant du préjudice total avoisinait les 300 000 €.
Il lui était enfin reproché sa participation à une association de malfaiteurs. Ayant eu pour objet la réalisation de ces cambriolages et l’écoulement des vins volés.

Les charges qui pesaient sur notre client reposaient essentiellement sur l’analyse de sa téléphonie.

Mais également le cercle de ses fréquentations. Il apparaissait en effet que certaines de ses relations avaient manifestement participé aux cambriolages.
C’est sur la base de ces éléments que notre client était mis en examen. Et placé en détention provisoire.

Remis en liberté près de 8 mois plus tard, il était renvoyé devant le tribunal correctionnel à l’issue de l’information judiciaire.

Il reconnaissait avoir fréquenté des individus impliqués dans le dossier. Mais il contestait toute participation aux cambriolages.
S’agissant des vins retrouvés dans sa cave, il expliquait ne pas en connaître l’origine frauduleuse. Il avait accepté de rendre service à un ami. Ce dernier participait régulièrement à des activités de négoce. Sa demande ne l’avait donc pas alerté.
Ce n’est que bien plus tard, lorsque cet ami avait été incarcéré dans le cadre du dossier, qu’il avait réalisé qu’il y avait manifestement une difficulté quant à la provenance des vins.

Pour assurer sa défense, il nous a fallu analyser de façon détaillé les Fadettes de notre client.

Et dresser des cartes géographiques des bornes relais activées par ce dernier dans les créneaux horaires des cambriolages qui lui étaient reprochés.
En effet, la présentation qui en avait été faite par les enquêteurs était particulièrement à charge. Elle ne laissait planer aucun doute quant à la culpabilité de notre client. Il était en effet affirmé que sa téléphonie démontrait sa présence sur les lieux de 2 cambriolages au moment où ces derniers avaient été perpétrés.

Or, nos recherches relatives aux relais émetteurs, à leur couverture, et aux mécanismes de délestage mettaient en évidence plusieurs éléments à décharge :

  • pour l’un des cambriolages, notre client était manifestement en mouvement constant sur la période de commission des faits. Il avait activé plusieurs bornes relais dans cette période. Et ce, sur une zone plus large que celle couverte par la borne la plus proche du lieu des faits.
    Ce déplacement continu, dans un espace couvrant plusieurs quartiers distincts, était donc incompatible avec une présence nécessairement constante sur les lieux. Il avait en effet fallu près d’une demi-heure aux cambrioleurs pour subtiliser les caisses de vin de l’entrepôt et les charger dans leurs camions.
  • les bornes qui avaient été activées par son téléphone portable lors de son déplacement couvraient différentes zones parfois contradictoires. Ce qui était de nature à démontrer un délestage sur différentes antennes relais. Et créait donc un doute sur sa présence effective, à un instant T,  sur le lieux des faits.
  • pour le second cambriolage, les Fadettes de notre client établissaient qu’il avait effectivement activé la borne relais la plus proche du lieu des faits. Mais plusieurs minutes avant l’arrivée sur site des individus dont la participation au cambriolage était établie. Et qu’il ne s’y trouvait plus à leur arrivée.

Ce qui validait a posteriori ses explications quant à un cheminement au niveau du cours du médoc pour se rendre à son domicile. Domicile qu’il avait manifestement regagné avant que les cambrioleurs ne passent à l’action.

Ses fadettes permettaient donc en réalité d’exclure sa participation a ces vols de grands crus. A l’inverse de ce qui avait été soutenu par les enquêteurs.

S’agissant des faits de recel, nous avons souligné l’absence d’élément intentionnel. C’est-à-dire l’absence de connaissance de l’origine frauduleuse des vins.
Nous avons également mis en avant le fait que les bouteilles retrouvées dans sa cave provenaient d’un vol. Pour lequel il n’avait jamais été mis en examen. Que ce soit au titre du cambriolage ou du recel.

Nous avons donc demandé au tribunal de constater que :
– les vins saisis dans la cave de notre client ne correspondaient pas à ceux pour lesquels il avait été mis en examen au titre du recel
– correspondaient à des vins issus d’un vol de grands crus pour lequel notre client n’avait pas été mis en examen

De sorte, qu’en vertu de la saisine « in rem » de la juridiction de jugement, le tribunal ne pouvait substituer à la prévention dont il était saisi une autre prévention.
Et n’avait donc d’autres choix que de relaxer notre client.

Le tribunal a tenu compte de l’ensemble de nos moyens de fait et de droit. Et a justement relaxé Monsieur C de l’intégralité de la prévention. Malgré des réquisitions de plusieurs années de prison ferme à son encontre.
Ce dernier qui ne réside plus sur la commune Bordeaux est aujourd’hui parfaitement réinséré.

Cette juste relaxe lui ouvre la voie à une procédure d’indemnisation de détention provisoire.

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