La loi de 85 sur les accidents de la circulation s’applique-t-elle aux nouveaux moyens de transport urbains ?

Ces dernières années, de nombreux moyens de transport urbains nouveaux et parfois originaux (trottinette électrique, hoverboard, gyropode….) ont vu le jour et se sont imposés dans nos quotidiens. Les accidents causés par ces nouveaux moyens de transport ont conduit les juges du fond à se prononcer sur l’application aux victimes de ces accidents du statut protecteur des dispositions de la Loi Badinter du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation.

En effet, cette loi fixe un régime autonome d’indemnisation des accidents de la circulation, en marge des responsabilités contractuelles et délictuelles, afin de faciliter l’indemnisation des victimes.

Ce régime particulièrement protecteur pour les victimes s’applique aux accidents de la circulation dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur (VTM). A contrario, les chemins de fer sont exclus du champ d’application de la Loi Badinter, en raison du fait qu’il s’agit d’une voie propre pour les trains, métros et tramways.

Le cadre de la loi Badinter repose sur trois socles : un véhicule terrestre à moteur, son implication, et une voie de circulation. Ainsi, cette loi ne s’appliquera pas s’agissant des accidents ayant lieu sur les chemins de fers, même s’ils impliquent un véhicule terrestre à moteur.

D’une façon plus générale, la Loi Badinter vise à s’appliquer à tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée.

L’émergence de ces nouveaux moyens de transports urbains a donc conduit les juridictions saisies d’action en indemnisation et le législateur à préciser les contours de la notion de Véhicule Terrestre à Moteur.

Confrontés à ce flou juridique soulevé par les juridictions du fond, le gouvernement apportait des précisions à l’occasion de la parution d’un décret du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel (EDP).

L’article 3 de ce décret définit ces EDP comme des véhicules, motorisés ou non, sans place assise, conçus et construits pour le déplacement d’une seule personne, dépourvues de tout aménagement destiné au transport de marchandises et dont la vitesse maximale par construction est supérieure à 6 km/h et ne dépasse pas 25 km/h.

Ainsi, les EDP non motorisés sont assimilés à des piétons par l’article R. 412-34 du Code de la route. En revanche, le régime applicable aux EDP motorisés et automoteurs, dont la vitesse maximale par construction est supérieure à 6km/h, est identique à celui qui concerne les VTM au sens de la loi Badinter.

Les pouvoirs publics considèrent par conséquent que ces EDP non motorisés ne doivent pas être utilisés sur la route. Ils tolèrent néanmoins que ces EDP circulent sur les trottoirs, dans les zones piétonnes et sur les pistes cyclables, à la condition qu’ils circulent à une vitesse ne dépassant pas 6 km/h. 

LE VELO ELECTRIQUE

La deuxième chambre civile de la cour de cassation a pu admettre, dans un arrêt du 22 octobre 2015 [Civ. 2e, 22 oct. 2015, n°14-13.994], que les « minimotos » de type « pocket bike » constituaient un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi dès lors qu’elles se déplaçaient sur une route au moyen d’un moteur à propulsion avec faculté d’accélération.

Précision : Les pocket bikes sont des motos miniatures qui mesurent 60cm de haut pour 1m de long et dont la puissance est limitée ; de ce fait, les cylindrées n’excèdent généralement pas 50cm3.

La question s’est ainsi posée s’agissant des vélos électriques qui, à mi-chemin entre ces mini motos et un simple vélo, peuvent légitimement semer le doute.

Ces vélos électriques ou vélos à assistance électrique, afin d’avancer, nécessitent l’énergie apportée par l’être humain qui va tout de même pédaler. En effet, le moteur ne sert qu’à améliorer le rendement des coups de pédales et ne permet pas d’assurer la mobilité de l’engin de manière autonome.

Ainsi, les vélos électriques ne sont pas « auto moteurs » au sens de la loi Badinter et ont été assimilés aux vélos sans moteurs ne tombant pas dans le régime autonome proposé par cette loi.

En conclusions, la loi Badinter ne s’applique pas s’agissant des vélos électriques qui ne constituent pas un véhicule terrestre à moteur au sens de cette même loi.

LE VELO SOLEX

Le Vélo SoleX est un cyclomoteur produit entre 1946 et 1988. Plus particulièrement, il s’agit d’un vélo disposant d’un moteur solex situé au niveau de la roue avant. De ce fait, il n’est pas toujours nécessaire de pédaler, excepté pour le démarrer. Il s’agit en effet d’une bicyclette avec un moteur auxiliaire pouvant être débrayé.

Les juges du fond se sont longuement opposés quant au choix du régime applicable à ce type de véhicule. Par exemple, le TGI de Paris, dans une décision du 8 avril 1987 (Gaz. Pal. 1988.1, p. 24), avait décidé que l’utilisateur d’un Solex pouvait être considéré comme un cycliste si l’accident survenait lorsque le moteur ne fonctionnait pas et qu’il pédalait.

Toutefois, la Cour de Cassation semblait adopter une position beaucoup plus restrictive. Dans un arrêt de la seconde chambre civile en date du 28 avril 1986 (n°85-11.175, Bull. n° 63), la Cour décidait qu’un cyclomotoriste qui tentait de faire démarrer son engin en pédalant était un conducteur de véhicule terrestre à moteur.

La qualification du vélo Solex en tant que véhicule terrestre à moteur était finalement entendue plus largement, la seconde chambre civile de la cour de cassation décidant dans un arrêt du 13 janvier 1988 (n° 86-19.029) qu’un cyclomotoriste qui utilise son engin comme une bicyclette, le moteur étant en panne, était considéré comme conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, que ce moteur soit ou non en fonctionnement au moment de l’accident.

En ce sens, l’utilisateur d’un Solex bénéficierait du régime protecteur conféré par la loi Badinter.

LES NOUVEAUX ENGINS DE DEPLACEMENT PERSONNELS (EDP)

La trottinette électrique : Contrairement au vélo à assistance électrique, la trottinette électrique est véritablement automoteur. Selon un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 23 novembre 2017 (n°2017/887), la trottinette électrique est considérée comme un véhicule terrestre à moteur (VTM) si elle dépasse 6 km/h ; cet arrêt venant ainsi confirmer le décret du 23 octobre 2019 qui situe la vitesse maximale des EDP entre 6km/h et 25 km/h.

En ce sens, la trottinette électrique tombe sous la qualification de véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985, qui encadrera les modalités d’indemnisation du piéton accidenté.

Le gyropode / le segway : Les gyropodes et particulièrement le segway, engins à moteur permettant de se déplacer debout, se multiplient sur les trottoirs et pistes cyclables des villes européennes. Ces engins de déplacement personnels étant automoteurs également, ceux-ci sont qualifiés de véhicule terrestre à moteur au sens de la définition donnée dans la loi du 5 juin 1985 qui s’appliquera ainsi en cas d’accident avec un piéton.

L’hoverboard : L’hoverboard, étant un véhicule automoteur dont la vitesse maximale par construction peut être supérieure à 6 km/h, cet engin de déplacement personnel voit s’appliquer en cas d’accident le régime autonome prévu par la loi du 5 juillet 1985.

Le skateboard électrique : Il s’agit d’un véhicule automoteur dont la vitesse maximale de construction peut atteindre 20 à 25 km/h, voire 50km/h pour certains. Cet engin de déplacement personnel voit ainsi s’appliquer en cas d’accident le régime autonome prévu par la loi du 5 juillet 1985.

L’indemnisation des victimes d’accidents sur la voie publique impliquant un engin de déplacement personnel motorisé dont la vitesse maximale peut être supérieure à 6 km/h s’apparente ainsi à celle mise en œuvre lorsqu’un véhicule terrestre à moteur est concerné.

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