La jurisprudence interprète strictement la condition d’anormalité nécessaire à l’ouverture du droit à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Parmi les conditions nécessaires pour bénéficier de la solidarité nationale, l’article L. 1142-1, II du code de la santé publique exige que les conséquences de l’accident médical soient anormales au regard de l’état de santé du patient et de l’évolution prévisible de cet état. Cette condition est précisée par la jurisprudence qui en dessine les critères au fil des espèces, comme en témoignent les trois décisions suivantes.
Dans deux arrêts rendus à quelques jours d’intervalle, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de l’anormalité du dommage.
Dans la première affaire, une patiente est atteinte d’une hémiplégie à la suite de l’ablation d’un kyste. Elle demande à être indemnisée de ses préjudices par l’ONIAM mais sa demande est rejetée par les juges. Le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel invoque la violation de l’article L. 1142-1, II du code de la santé publique, les juges ayant refusé de retenir l’anormalité des conséquences de l’accident médical alors que, selon le pourvoi, l’anormalité s’apprécie notamment au regard de l’état de santé du patient au moment de l’intervention. Or la patiente ne souffrait d’aucun trouble neurologique jusqu’à l’opération. Le pourvoi est rejeté (Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-15.750). En effet, les experts relèvent que l’hémiplégie survenue est une complication prévisible de l’exérèse du kyste et qu’à défaut d’intervention, l’accroissement de celui-ci laissait présager de graves difficultés médicales pour la patiente. Dès lors la cour d’appel a exactement décidé que la malade devait subir une intervention indispensable, présentant un risque important lié à sa pathologie, et que les conséquences, aussi graves soient-elles, de l’acte de soins ne présentaient pas un caractère anormal au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci. Les conditions de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont donc pas réunies.
Dans la seconde affaire, un patient atteint d’un cancer gastrique subit l’exérèse de l’œsophage et de l’estomac, puis deux autres interventions en raison de l’apparition d’une fistule. Il recherche la responsabilité du chirurgien et demande à être indemnisé par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale. Son action est rejetée et il se pourvoit en cassation pour violation de l’article L. 1142-1, II du code de la santé publique. Le pourvoi avance deux arguments. Tout d’abord, il reproche à la cour d’appel de juger que les conséquences de la fistule ne sont pas anormales au sens de l’article susvisé au motif qu’il s’agirait d’une complication connue et fréquente de ce type d’intervention. En statuant ainsi, les juges auraient ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, tenant à la rareté de la complication. D’autre part, en décidant que la fistule ne présentait pas un caractère d’anormalité du fait de la pathologie pour laquelle le patient avait été opéré et de son évolution prévisible, les juges auraient fait une appréciation in abstracto du caractère anormal des conséquences de l’accident médical, alors que cette appréciation doit se faire in concreto. Le pourvoi est rejeté (Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n° 13-21.603). En effet, la cour d’appel ayant retenu qu’eu égard à l’état avancé du cancer dont souffrait le patient, il existait un risque élevé qu’une fistule apparaisse, complication connue et fréquente de l’intervention, elle a exactement déduit de ces constatations, dont il résultait que le patient avait dû subir une intervention indispensable présentant des risques importants liés à sa pathologie dont l’un s’était réalisé, dans l’espoir d’obtenir une amélioration de son état de santé, que l’indemnisation du dommage subi ne relevait pas de la solidarité nationale.
Un enfant naît en 2007 atteint d’une cardiopathie diagnostiquée pendant la grossesse. Il subit plusieurs opérations chirurgicales palliatives dans l’attente d’une opération réparatrice qui était dès le départ inévitable. En raison de l’aggravation de l’état du malade, cette opération à cœur ouvert est pratiquée prématurément. A la suite de l’intervention, si le bilan cardiaque se révèle très satisfaisant, des troubles neurologiques apparaissent et l’enfant décède quelques mois plus tard. Les parents demandent une indemnisation à l’ONIAM, qui est refusée. Ils saisissent alors le juge administratif. Leur demande est rejetée en première instance puis en appel (CAA Versailles, 20 mai 2014, n° 13VE01983). En effet, selon les experts, les troubles neurologiques font partie des complications connues des opérations à cœur ouvert pratiquées sur des enfants et, en l’espèce, les troubles survenus sont imputables à une anoxie cérébrale liée à la durée importante pendant laquelle l’aorte avait été clampée pour permettre la réalisation du geste chirurgical très complexe qui était nécessaire pour remédier à la cardiopathie congénitale. La cour en déduit que l’enfant a subi une opération indispensable à l’amélioration de son état de santé, qui présentait des risques connus auxquels l’enfant était particulièrement exposé du fait de la difficulté technique de l’opération. En conséquence, le dommage subi n’est pas sans rapport avec son état de santé initial.
Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-15.750
Cass. 1re civ., 10 juill. 2014, n° 13-21.603
CAA Versailles, 20 mai 2014, n° 13VE01983
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