Réforme de la prescription pénale : Comprendre les délais et les nouvelles règles
- Julien Plouton
- 21 mars 2022
- 8 min de lecture
La prescription de l'action publique est un mécanisme juridique essentiel en droit pénal. Elle fixe un délai au-delà duquel une infraction ne peut plus être poursuivie en justice. Ces dernières années, et notamment depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, les règles encadrant la prescription ont été profondément modifiées en France. Cette réforme visait à moderniser et clarifier un système devenu complexe, en allongeant les délais et en précisant les règles de départ, d'interruption et de suspension.
Face à ces évolutions, il est crucial de comprendre les délais applicables aujourd'hui, notamment après les ajustements de la LOI n°2024-420 du 10 mai 2024. Cet article, proposé par le Cabinet Plouton, avocats pénalistes à Bordeaux, décrypte pour vous les règles actuelles de la réforme prescription pénale.
Qu'est-ce que la prescription de l'action publique ?
La prescription de l'action publique désigne l'extinction du droit de poursuivre une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction après l'écoulement d'un certain délai fixé par la loi. Passé ce délai, l'autorité judiciaire (le ministère public) ne peut plus engager de poursuites.
Ce principe repose sur plusieurs fondements : le droit à l'oubli pour celui qui a commis une infraction ancienne, la nécessité de juger dans un délai raisonnable pour garantir un procès équitable (les preuves pouvant se dégrader avec le temps), et une forme de sanction de l'inertie des autorités de poursuite.
La Réforme de 2017 : Un Nouveau Cadre pour la Prescription Pénale
Avant 2017, les règles de prescription étaient critiquées pour leur complexité et une jurisprudence parfois fluctuante, notamment concernant le point de départ du délai pour les infractions non apparentes. La loi n° 2017-242 a donc apporté des changements majeurs :
Doublement des délais de droit commun : Le délai est passé de 10 à 20 ans pour les crimes (Art. 7 du Code de procédure pénale - CPP) et de 3 à 6 ans pour les délits (Art. 8 CPP). Le délai pour les contraventions est resté à 1 an (Art. 9 CPP).
Consécration légale du report du point de départ : Pour les infractions dites « occultes » (non connues par nature) ou « dissimulées » (cachées par l'auteur), le délai ne commence à courir qu'à partir du jour où l'infraction a pu être constatée (Art. 9-1 CPP).
Instauration de délais butoirs : Pour éviter une imprescriptibilité de fait, même en cas de report du point de départ, des limites maximales ont été fixées : 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes, à compter du jour de la commission des faits (Art. 9-1 CPP).
Généralisation du point de départ à la majorité pour les mineurs : Pour la plupart des infractions commises sur un mineur, le délai de prescription ne court qu'à partir de ses 18 ans (Art. 9-1 CPP).
Définition légale des actes interruptifs : La loi liste désormais précisément les actes qui interrompent la prescription et font courir un nouveau délai (Art. 9-2 CPP).
Introduction de causes de suspension : Le délai peut être suspendu (mis en pause) en cas d'obstacle juridique ou factuel rendant les poursuites impossibles (Art. 9-3 CPP).
Les Délais de Prescription Actuels (Après la Loi de 2024)
Si la réforme de 2017 a posé les bases, la LOI n°2024-420 du 10 mai 2024 a introduit des délais spécifiques plus longs pour certaines infractions, rendant le paysage plus complexe mais visant une protection accrue des victimes et une répression renforcée de faits graves.
Crimes (Art. 7 CPP)
Le délai de prescription de droit commun est de vingt années révolues à compter du jour où le crime a été commis.
Attention : Les crimes contre l'humanité et les crimes de génocide sont imprescriptibles.
Délits (Art. 8 CPP)
Le délai de prescription de droit commun est de six années révolues à compter du jour où le délit a été commis.
Exceptions importantes introduites ou précisées par la loi du 10 mai 2024 :
Délits commis sur des mineurs :
Délai de 10 ans à compter de la majorité pour une liste de délits (traite d'êtres humains, proxénétisme sur mineur, corruption de mineur, pornographie infantile, mise en danger de mineurs - sauf délits sexuels spécifiques).
Délai de 20 ans à compter de la majorité pour les violences graves (ITT > 8 jours), les agressions sexuelles (hors viol sur mineur de 15 ans) et les atteintes sexuelles aggravées sur mineur de 15 ans.
Règle nouvelle : Si une nouvelle agression/atteinte sexuelle est commise sur un autre mineur par la même personne avant la fin du premier délai, le délai de la première infraction est prolongé jusqu'à la date de prescription de la nouvelle.
Non-dénonciation de crime sur mineur (Art. 434-3 CP) : Le délai est aligné sur celui du crime non dénoncé (10 ou 20 ans depuis la majorité selon la nature de l'infraction).
Autres délits graves : Délai de 20 ans à compter de la commission pour certains délits liés à la criminalité organisée, au terrorisme, à l'environnement (pôle spécialisé), et aux crimes/délits de guerre pouvant être qualifiés de délits.
Contraventions (Art. 9 CPP)
Le délai de prescription reste d'une année révolue à compter du jour où la contravention a été commise.
Le Point de Départ du Délai de Prescription (Art. 9-1 CPP)
Déterminer quand commence à courir le délai est aussi crucial que connaître sa durée.
Le Principe Général : Le Jour de la Commission
En règle générale, le délai court "à compter du jour où l'infraction a été commise". Pour une infraction instantanée (ex: un vol simple), c'est le jour même. Pour une infraction continue (ex: une séquestration), la jurisprudence considère que le délai ne court qu'à partir du jour où l'infraction a cessé.
Les Exceptions : Infractions Occultes, Dissimulées et sur Mineurs
La loi de 2017 a codifié des exceptions majeures :
Infraction occulte : C'est celle qui, par ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire (ex : abus de bien sociaux non visibles dans les comptes publiés).
Infraction dissimulée : C'est celle dont l'auteur accomplit délibérément des manœuvres pour en empêcher la découverte (ex : cacher un corps après un homicide).
Pour ces deux types d'infractions, le point de départ du délai est reporté au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.
Infractions commises contre un mineur : Comme vu précédemment, pour la plupart des infractions, le délai de prescription ne court qu'à compter de la majorité de la victime (ses 18 ans). La loi de 2018 a ajouté une règle spécifique pour le crime de pratiques eugéniques (Art. 214-2 CP) ayant conduit à une naissance : le délai court aussi à compter de la majorité de l'enfant.
Les Délais Butoirs : Une Limite Temporelle Absolue
Pour concilier la protection des victimes d'infractions cachées et la sécurité juridique, la loi de 2017 a introduit des délais butoirs. Même si le point de départ est reporté, l'action publique doit impérativement être engagée dans un délai maximum de :
Douze années révolues pour les délits.
Trente années révolues pour les crimes.
Ces délais butoirs courent à compter du jour où l'infraction a été commise.
L'Interruption et la Suspension du Délai de Prescription
Le cours du délai de prescription n'est pas toujours linéaire. Il peut être interrompu ou suspendu.
L'Interruption (Art. 9-2 CPP) : Remettre le Compteur à Zéro
Certains actes de procédure interrompent la prescription. Cela signifie que le délai déjà écoulé est effacé, et un nouveau délai, de durée identique au délai initial, recommence à courir à partir de la date de l'acte interruptif. La loi de 2017 (Art. 9-2 CPP) liste les actes interruptifs :
Tout acte du ministère public ou de la partie civile visant à lancer les poursuites.
Tout acte d'enquête (procès-verbal d'officier de police judiciaire) ou d'instruction visant la recherche des auteurs.
Tout jugement ou arrêt, même non définitif (sauf s'il est annulé).
L'effet interruptif s'étend aux coauteurs ou complices, même s'ils ne sont pas directement visés par l'acte, ainsi qu'aux infractions connexes. La jurisprudence a confirmé que des actes menés à l'étranger dans le cadre de l'entraide judiciaire peuvent aussi interrompre la prescription en France.
La Suspension (Art. 9-3 CPP) : Mettre le Délai en Pause
La suspension arrête temporairement le cours du délai de prescription, sans effacer le temps déjà écoulé. Le délai reprend là où il s'était arrêté une fois que la cause de suspension a disparu. Introduites par la loi de 2017 (Art. 9-3 CPP), les causes générales de suspension sont :
Tout obstacle de droit prévu par la loi (ex: immunité parlementaire).
Tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, rendant impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique.
Attention : La Cour de cassation interprète très strictement la notion d'obstacle de fait insurmontable. Elle a jugé que des difficultés d'enquête (dissimulation de preuves) ou des conséquences psychologiques internes à la victime (comme une amnésie traumatique post-agression sexuelle) ne constituent pas un tel obstacle justifiant la suspension. L'obstacle doit être extérieur et rendre objectivement impossible toute poursuite.
Comment Naviguer ces Règles Complexes ? Conseils Pratiques
La réforme prescription pénale a clarifié certains aspects mais la superposition des règles générales, des exceptions (notamment pour les mineurs et les infractions graves depuis 2024), des délais butoirs et des mécanismes d'interruption/suspension rend la matière complexe.
La date des faits est essentielle : Déterminer précisément quand l'infraction a été commise et quand elle a été découverte (si occulte/dissimulée) est fondamental.
Les règles transitoires comptent : Pour les faits commis avant le 1er mars 2017, l'application des nouvelles règles (notamment les délais allongés ou les délais butoirs) dépend de si la prescription était déjà acquise ou si des poursuites étaient déjà valablement engagées. Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif.
L'analyse au cas par cas est indispensable : Chaque situation est unique. Seule une analyse précise des faits, des dates et des actes de procédure permet de déterminer si l'action publique est prescrite ou non.
Naviguer dans le droit pénal et ses subtilités, comme la prescription, requiert une expertise spécifique.
FAQ - Prescription Pénale
1. Quel est le délai de prescription "normal" pour un délit aujourd'hui ? Le délai de droit commun est de 6 ans à compter de la commission du délit (Art. 8 CPP). Cependant, de nombreuses exceptions existent, notamment pour les délits sur mineurs (10 ou 20 ans depuis la majorité) ou certains délits graves (20 ans depuis la commission).
2. Quand commence la prescription pour une agression sexuelle sur un enfant ? Le point de départ est la majorité de la victime (ses 18 ans). Le délai est ensuite de 20 ans pour les agressions sexuelles (hors viol sur mineur de 15 ans) et les atteintes sexuelles aggravées sur mineur de 15 ans (Art. 8 CPP modifié en 2024). Pour le viol sur mineur (crime), le délai est de 20 ans à compter de la majorité (Art. 7 et 9-1 CPP).
3. Quelle est la différence entre interruption et suspension de la prescription ? L'interruption (Art. 9-2 CPP) efface le délai écoulé et fait repartir un nouveau délai complet. La suspension (Art. 9-3 CPP) met le délai en pause ; il reprendra là où il s'était arrêté une fois l'obstacle disparu.
4. Qu'est-ce qu'un délai butoir en matière de prescription ? C'est une limite de temps maximale au-delà de laquelle une infraction ne peut plus être poursuivie, même si le point de départ du délai normal a été reporté (ex: infraction découverte tardivement). Il est de 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes, à compter du jour de la commission des faits (Art. 9-1 CPP).
5. Une infraction très ancienne (commise avant 2017) peut-elle encore être jugée ? Oui, c'est possible. La loi de 2017 a allongé les délais de prescription (6 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes). Si l'infraction n'était pas déjà prescrite selon les anciennes règles au 1er mars 2017, ce sont les nouveaux délais, plus longs, qui s'appliquent (sauf règles spécifiques sur les délais butoirs pour les actions déjà engagées). L'analyse dépend donc de la date des faits et de l'ancien délai applicable.
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Le droit de la prescription est technique et son application dépend précisément des faits de chaque dossier. Le Cabinet Plouton, expert en défense pénale à Bordeaux, met son expérience à votre service pour évaluer votre situation et défendre vos droits.
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