Demain, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux examinera un dossier qui a pris de sérieuses rides, sans pour autant que la question posée depuis 13 ans ne soit tranchée. Les conclusions du rapport rendu en 1997 par la Sogreah, un bureau d’études spécialisé dans le domaine de l’eau et de l’environnement, ont-elles été sciemment modifiées pour nuire à Benoît Bartherotte, le gardien de la pointe du Cap-Ferret, qui depuis plusieurs décennies construit et renforce à ses frais une digue de plusieurs centaines de mètres reconnue aujourd’hui d’utilité publique.
La première plainte pour faux et usage de faux déposée en 2001 par l’intéressé avait été classée sans suite par le parquet de Bordeaux. La seconde avec constitution de partie civile a débouché sur une instruction au long cours marquée par l’audition de l’ancien préfet Christian Frémont à l’époque ou il dirigeait le cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Élysée et la mise en cause de Marc Giroussens, responsable de l’agence Sogreah Bordeaux-Mérignac entre 1998 et 2006. Estimant qu’il existait des indices laissant penser que cet ingénieur avait pu participer à la commission de l’infraction, la juge d’instruction Françoise Gambadchize l’a placé en 2012 sous statut de témoin assisté.
L’origine de l’affaire remonte en 1997. Cette année-là, au mois de janvier, dans le cadre des travaux préparatoires au schéma de mise en valeur de la mer (SMVM), la Sogreah, à la demande la commune de Lège-Cap-Ferret, établit un rapport intitulé « Diagnostic de l’évolution du littoral sur la face orientale de la flèche du Cap-Ferret. » Ses deux rédacteurs, Alain Ferral et Jacques Viguier, affirment que sans les ouvrages édifiés par Benoît Bartherotte, le trait de côte aurait reculé de 50 à 80 mètres.
Quatre ans plus tard, au mois de juillet 2001, moment où s’ouvre l’enquête publique relative au plan de prévention des risques littoraux (PPRL) du Cap-Ferret, une note de présentation de la Sogreah figure au dossier. Mais qu’elle n’est pas la surprise de Benoît Bartherotte lorsqu’il découvre qu’elle fait référence à une soi-disant étude de décembre 1997 où il était indiqué que ses digues étaient « totalement inopérantes ». À quelques mois d’intervalle, la Sogreah aurait donc affirmé tout et son contraire. De quoi être troublé.
Furieux, Benoît Bartherotte indique sur le registre ouvert au public qu’il s’agit d’un faux et qu’il va déposer plainte. Quelques mois plus tard, la note sera revue, sans doute au terme d’une réunion au Ferret à laquelle participait le préfet Christian Frémont, aujourd’hui décédé. Lorsque sort fin 2001 l’arrêté préfectoral qui valide le PPRL, la note de présentation jointe renvoie à nouveau à la première étude, celle de janvier 1997. Mais pour Benoît Bartherotte, le mal est fait. Il est en zone rouge.
Le document litigieux établi par Marc Giroussens ne lui a pas permis d’obtenir la constructibilité promise oralement quelques années plus tôt par le sous-préfet en contrepartie de la construction de sa guide. Or c’est en louant à des estivants fortunés des maisons en bois que cet ancien directeur d’une maison de haute couture finance le ballet des camions qui déversent en permanence pierre et gravats au fond de l’eau.
Entendu par la juge d’instruction Françoise Gambadchize, Benoît Bartherotte assure qu’Alain Ferral et Jacques Viguiers, les rédacteurs de la première étude, lui ont confié que le maire de Lège-Cap-Ferret, Michel Sammarcelli, leur a demandé de modifier leurs conclusions qui ne lui convenaient pas. Des propos aussitôt démentis par les intéressés et le premier magistrat de la ville. Marc Giroussens se défend lui aussi d’avoir écrit sous la dictée de qui que ce soit. Il soutient avoir rédigé son étude, qui n’a jamais été retrouvée par les enquêteurs, en empruntant une méthodologie publiée par l’État.
Selon ce guide, lorsqu’un ouvrage de protection longitudinal à la côte est insuffisamment fondé ou n’est pas édifié dans les règles de l’art, il n’en est pas tenu compte dans l’évolution du trait de cote. Au dire de Marc Giroussens, c’était le cas de la digue Bartherotte. Problème. L’ancien responsable de la Sogreah, comme il le reconnaît d’ailleurs, n’a pas procédé aux constatations techniques permettant d’appréhender les fondations et les structures d’une digue dont plus personne ne conteste aujourd’hui l’efficacité.
Conseillé par Me Julien Plouton, Benoît Bartherotte revendique somme toute légitimement le droit d’être confronté à Marc Giroussens mais aussi à son vieil ennemi, Michel Sammarcelli. La juge d’instruction Françoise Gambadchize, soutenu par le parquet, s’y refuse au motif qu’il a eu tout loisir de s’exprimer dans le cadre de l’enquête. Il appartient désormais à la chambre de l’instruction de trancher sachant qu’elle a déjà par le passé ordonné des confrontations que le magistrat instructeur n’avait pas jugées utiles.
Sud-Ouest 15/10/2014 – Vrai digue et drôle drôle d’étude
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