Accident mortel de la circulation causé par une personne âgée : de la nécessaire réforme du permis de conduire

 

Homicide involontaire, Tribunal correctionnel de Pau, audience du 17 août 2023 

 

A l’appel de son nom, un vieux monsieur longiligne, voûté, chenu, s’avance péniblement vers la barre du Tribunal.

La présidente fait le point sur son identité et lui rappelle qu’il est prévenu d’avoir par imprudence ou maladresse causé un accident mortel de la circulation. Il y a un an de cela, sur une route départementale de la région. 

Ce dernier semble difficilement entendre les mots du magistrat, et peut-être encore moins les comprendre, ce que confirmera d’ailleurs son interrogatoire sur les faits. Il ne garde que quelques bribes de souvenirs de ce qui s’est passé le jour des faits, et ces derniers sont manifestement décalés par rapport à la réalité du dossier.

Le 7 juin 2022, alors âgé de 93 ans il a, comme à son habitude, pris son véhicule pour se rendre au supermarché se trouvant à quelques kilomètres de son domicile, afin de faire les courses avec sa femme âgée quant à elle de 89 ans. Il a été opéré de la cataracte un an auparavant, et depuis, selon ses dires, « rien ne va plus ».

Sur le trajet du retour, et alors que, selon un témoin, il « colle à la ligne blanche », ce qui conduit ce témoin à se faire la réflexion « qu’il ne doit pas y voir grand-chose », il se rapproche, sur la route départementale D 936 d’un chantier d’enfouissement de câble électrique en bord de route. Il ne voit pas le premier panneau indiquant un rétrécissement de la circulation, ni les second et troisième panneaux indiquant des travaux en cours.

Il ne verra pas non plus l’ouvrier en charge de l’alternance de la circulation qui se trouve à l’arrière du camion technique, derrière des plots de sécurité.

Et qui vient de faire signe à son véhicule de s’arrêter, puis se tourne de l’autre côté pour indiquer aux véhicules de l’autre voie qu’ils peuvent commencer à circuler. Il continue donc sa route, comme si de rien n’était, emporte le plot de sécurité avant de heurter de plein fouet l’ouvrier dont le corps rebondi sur le pare-brise, avant d’être projeté en l’air, tournant sur lui-même, et d’achever sa course fatale à une dizaine de mètres de l’endroit où il a été percuté.

Lui et sa femme, n’ont semble-t-il, perçu qu’un bruit sourd sans prendre conscience de ce qui venait d’arriver. Il poursuit donc sa route pendant quelques minutes, avant d’être rattrapé par des véhicules témoins, de faire demi-tour et de se rendre sur les lieux de l’accident.

La victime, prise en charge rapidement par les pompiers est grièvement blessée et décèdera une semaine plus tard, sur son lit d’hôpital, des suites de son traumatisme crânien.

Entendu par les enquêteurs, l’automobiliste presque centenaire sera bien incapable d’expliquer ce qui a pu se passer, évoquera une absence ou un possible malaise, indiquera n’avoir que très peu de souvenirs des faits et être absolument désolé. L’expert psychiatre qui l’examinera quelques mois plus tard constatera une importante diminution cognitive.

Nous intervenions dans le cadre de cette affaire d’homicide involontaire pour la famille de la victime : ses 2 parents, son épouse, ses 5 frères et sœurs.

Ces derniers sont totalement dévastés par le décès de leur proche, parti, en pleine force de l’âge, à 44 ans. Quelle peine prononcer à l’encontre d’un homme arrivé à l’hiver de sa vie, particulièrement diminué physiquement et qui depuis les faits a cessé de conduire. 

Dans un tel contexte, la peine n’a effectivement plus beaucoup de sens, comme l’a justement rappelé à l’audience Madame le Procureur de la république, malgré la gravité de cet accident de la circulation. C’est ce constat unanime qui a conduit le tribunal à prononcer une peine de trois mois de prison avec sursis et une annulation du permis de conduire avec interdiction de le repasser pour une durée de cinq ans (durée maximale prévue par la loi).

L’affaire a été renvoyée sur intérèts civils afin de permettre au tribunal et à la défense d’étudier nos demandes d’indemnisations présentées dans l’intérêt de la victime et de ses proches.

Ces dernières visent les préjudices directes subis par la victime avant son décès (pretium doloris, préjudice d’angoisse de mort imminente notamment) et l’indéniable préjudice d’affection des membres de sa famille suite à son décès. Mais également des préjudices plus spécifiques tels que le préjudice d’accompagnement, et le préjudice d’attente et d’angoisse

La victime était mariée et subvenait aux besoin de son épouse qui subit donc un préjudice économique important.

Mais, dans le cadre de cette audience, nous avons surtout souhaité axer notre argumentation sur la nécessité de faire évoluer la loi et d’imposer, à partir d’un certain âge, que législateur devra fixer, des visites médicales régulières. Pour s’assurer du maintien des compétences physiques et cognitives nécessaires à la conduite d’un véhicule terrestre à moteur.

Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser les personnes âgées ou de prendre des mesures « anti vieux » comme ont pu le soutenir certaines associations hostiles à une réforme du permis de conduire. Il s’agit simplement de prendre enfin en compte une implacable réalité biologique : la dégradation inéluctable de nos capacités physiques et cognitives corrélée avec l’âge.

Une telle mesure pourrait d’ailleurs, comme le propose justement Pauline Déroulède, devenue joueuse de tennis professionnelle handisport après avoir été victime d’un accident de la circulation causé par un automobiliste de 92 ans, s’étendre à tous les automobilistes.

Car la diminution des capacités physiques et cognitives peut, bien entendu, avoir aussi d’autres causes que le grand âge.

C’est d’ailleurs en ce sens que législateur a déjà prévu au titre des dispositions de l’article R221–14 du code de la route, la possibilité au préfet d’imposer un examen médical à un conducteur. Dont il estime que l’état de santé peut être incompatible avec le maintien du permis de conduire.

Mais encore faut-il que de telles informations aient été portées à sa connaissance. Ce qui limite singulièrement les cas d’application. Et renvoie bien souvent aux cas où l’automobiliste aura déjà été impliqué dans un accident de la circulation !

Une 1ère proposition de loi visant à instaurer un contrôle automatique a priori, avait été déposée en 2017 par une député LR.

Elle visait les personnes âgées de 70 ans et plus, souhaitant continuer à conduire, qui auraient dû effectuer une visite médicale tous les cinq ans. Ce projet de loi n’était pas allé au bout du parcours législatif. Le ministre de l’Intérieur de l’époque et la future première ministre actuelle, s’étant notamment déclarés opposés à cette mesure. Craignant qu’elle n’isole encore plus les personnes âgées. Il est vrai, particulièrement en milieu rural, que la conduite d’un véhicule est parfois un élément essentiel de l’autonomie des personnes âgées. Mais il nous semble bien dangereux de renvoyer systématiquement à la responsabilité individuelle des personnes concernées.

Qui bien souvent, outre les considérations purement pratiques d’autonomie précédemment évoquées, ont également du mal à accepter la diminution de leurs capacités et l’impératif de ne plus conduire pour des raisons de sécurité. Car cela les renvoie nécessairement à leur propre finitude, ce que nous pouvons tous comprendre. Ou à celle de leurs proches qui ne peuvent pas toujours exercer un tel contrôle. Soit pour des raisons affectives, soit pour des raisons purement pratiques d’éloignement géographique, notamment. 

C’est la raison pour laquelle nous pensons que le législateur doit absolument intervenir. Pour éviter que de nouveaux cas d’accidents mortel ou entraînant des lésions physiques particulièrement graves, puissent intervenir dans de tels contextes.

Une nouvelle proposition de loi déposée en Juillet 2023 (Proposition de loi n°1592 visant à mettre en place une visite médicale de contrôle à la conduite pour les conducteurs de soixante-quinze ans et plus) par Monsieur le député Bruno MILLIENNE va dans ce sens et relance le débat.

À ce jour, la France est, avec l’Allemagne, l’un des seuls pays d’Europe à ne pas avoir adopté une telle mesure de contrôle médical pour le maintien du permis de conduire à partir d’un certain âge.

Il est grand temps que les choses changent ;

Dans l’intérêt de tous ;

Car nul ne peut raisonnablement accepter qu’un parcours de vie souvent irréprochable puisse être irrémédiablement entaché pénalement et moralement par une absence ou une négligence, une faute d’imprudence ou d’inattention, ayant entrainé la mort d’autrui ou lui ayant occasionné des séquelles irrémédiables.

Consultez notre dossier de presse sur cette affaire

 

< Retour