Abandon de poste : conséquences pénales et stratégies de défense
- Julien Plouton - Avocat à la Cour

- 14 janv.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 oct.
L'abandon de poste représente une situation délicate tant pour les employeurs que pour les salariés. Au-delà des conséquences habituelles en droit du travail, cette situation peut, dans certains cas spécifiques, basculer dans le domaine pénal. Notre cabinet Plouton vous propose un éclairage complet sur ce sujet souvent mal compris.
Qu'est-ce qu'un abandon de poste ?
Définition juridique
L'abandon de poste désigne une absence prolongée et injustifiée du salarié de son lieu de travail, sans autorisation de l'employeur. Curieusement, le Code du travail ne définit pas explicitement cette notion, qui a été façonnée par la jurisprudence au fil des années.
Concrètement, on parle d'abandon de poste lorsqu'un salarié :
S'absente sans justification pendant au moins 48 heures
Quitte son poste de manière anticipée, sans autorisation et sans revenir
Ne se présente plus au travail sans fournir de motif légitime
À retenir : Ne sont pas considérées comme abandons de poste les absences justifiées par une consultation médicale, le décès d'un proche, l'exercice du droit de retrait ou de grève, même si l'employeur n'a pas donné son autorisation préalable.
Différence entre abandon de poste et démission
Il est essentiel de distinguer ces deux notions juridiques :
Critère | Abandon de poste | Démission |
Intention | Souvent ambiguë | Volonté claire et non équivoque de rompre le contrat |
Formalisme | Absence sans explication | Lettre de démission exprimant clairement la volonté de partir |
Conséquences | Variable selon la réaction de l'employeur | Rupture du contrat à l'initiative du salarié, avec préavis sauf dispense |
Droit aux allocations chômage | Non (présomption de démission), sauf contestation réussie ou réexamen après 121 jours | Non, sauf démission légitime ou réexamen après 121 jours |
Attention : la loi « Marché du Travail » du 21 décembre 2022 a profondément modifié cette distinction en introduisant la possibilité d'une présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire.
Guide pratique : que faire immédiatement ?
Pour les employeurs confrontés à un abandon de poste
Si vous constatez qu'un salarié ne se présente plus à son poste de travail sans justification :
Documenter l'absence dès les premières 48 heures
Tenter de contacter le salarié par téléphone, SMS ou email
Envoyer une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception
Mentionner explicitement dans cette mise en demeure :
La demande de justification de l'absence
L'obligation de reprendre le travail dans un délai d'au moins 15 jours
Les conséquences potentielles (présomption de démission, perte d'allocations chômage)
Attendre l'expiration du délai avant toute démarche supplémentaire
À retenir : Le non-respect de la procédure de mise en demeure peut invalider la présomption de démission et vous exposer à un contentieux prud'homal.
Pour les salariés accusés d'abandon de poste
Si vous êtes accusé d'abandon de poste ou avez reçu une mise en demeure :
Répondre immédiatement à la mise en demeure
Fournir les justificatifs si votre absence a un motif légitime
Consulter rapidement un avocat spécialisé en droit du travail
Ne pas laisser expirer le délai de 15 jours sans réaction
Conserver toutes les preuves de vos échanges avec l'employeur
Quand l'abandon de poste peut-il avoir des conséquences pénales ?
Contrairement aux idées reçues, l'abandon de poste n'est généralement pas une infraction pénale en soi. Il relève principalement du droit du travail et entraîne des conséquences civiles. Cependant, dans certaines circonstances exceptionnelles, un abandon de poste peut avoir des implications pénales :
Secteurs à risque accru
Secteur | Risque pénal potentiel | Fondement juridique |
Santé | Mise en danger de la vie d'autrui, non-assistance à personne en danger | Art. 223-1 et 223-6 du Code pénal |
Sécurité | Mise en danger délibérée d'autrui | Art. 223-1 du Code pénal |
Transport | Mise en danger des passagers | Art. 223-1 du Code pénal |
Services publics essentiels | Abandon de poste pouvant compromettre la sécurité publique | Réglementations spécifiques |
Situations comportant un risque pénal
L'abandon de poste peut avoir des implications pénales dans les cas suivants :
Lorsqu'il met directement en danger la vie ou la sécurité d'autrui Exemple : Un infirmier de garde aux urgences qui quitte son poste en laissant des patients en situation critique
Lorsqu'il s'accompagne d'autres infractions pénales Exemple : Un salarié qui abandonne son poste après avoir commis un vol dans l'entreprise
Dans le cadre de professions réglementées avec des obligations spécifiques Exemple : Un agent de sécurité quittant un poste de surveillance d'infrastructures sensibles
À retenir : Le simple fait d'abandonner son poste de travail dans un contexte classique n'est généralement pas passible de sanctions pénales. Des circonstances aggravantes ou des conséquences graves sont nécessaires pour que la situation relève du droit pénal.
Stratégies juridiques efficaces
Pour les employeurs
Face à un abandon de poste, l'employeur dispose de plusieurs options :
Invoquer la présomption de démission (depuis 2022)
Avantage : procédure plus simple qu'un licenciement
Inconvénient : nécessite le strict respect de la procédure de mise en demeure
Procéder à un licenciement pour faute
Avantage : plus sécurisé juridiquement dans certains cas
Inconvénient : procédure plus longue et formalisée
Engager une action en responsabilité civile
Condition : prouver un préjudice direct causé par l'abandon
Difficulté : démontrer l'intention de nuire du salarié
Notre conseil : Documentez rigoureusement toutes les étapes de votre procédure, en particulier la mise en demeure et sa notification au salarié.
Pour les salariés
Si vous êtes accusé d'abandon de poste, plusieurs stratégies de défense sont possibles :
Justifier légitimement votre absence
Maladie (avec certificat médical)
Exercice d'un droit (retrait, grève)
Situation familiale grave (décès d'un proche)
Contester la procédure de mise en demeure
Délai inférieur à 15 jours
Absence de mention des conséquences
Problème de notification
Invoquer des manquements graves de l'employeur
Harcèlement moral ou sexuel
Non-paiement de salaire
Conditions de travail dangereuses
Contester la présomption de démission devant le Conseil de prud'hommes
Délai de jugement : 1 mois
Nécessité d'agir rapidement
Conseil d'expert : Si vous envisagez de ne plus vous rendre à votre travail, consultez impérativement un avocat avant de prendre cette décision pour évaluer les risques et envisager des alternatives.
Jurisprudence récente : ce que disent les tribunaux
La jurisprudence de la Cour de cassation a considérablement évolué depuis la loi de 2022 sur la présomption de démission. Voici quelques décisions significatives :
La mise en demeure doit être explicite sur les conséquences
Conseil d'État, 18 décembre 2024
Dans cette décision fondatrice, le Conseil d'État a examiné la validité du décret d'application de la loi sur la présomption de démission, qui était contesté par plusieurs syndicats.
Ce qu'a dit le juge : Le Conseil d'État a validé le décret, mais il a ajouté une condition essentielle qui ne figurait pas explicitement dans le texte : pour que la présomption de démission soit valable, la mise en demeure envoyée par l'employeur doit impérativement informer le salarié des conséquences de son refus de reprendre le travail. Cela inclut la mention que son silence le fera présumer démissionnaire et le privera, en principe, de ses droits à l'assurance chômage.
En pratique : Pour les employeurs, une mise en demeure qui se contente de demander au salarié de reprendre son poste n'est pas suffisante. Elle doit être rédigée avec une grande précision et inclure un paragraphe informatif sur les risques encourus. Pour les salariés, une mise en demeure incomplète sur ce point constitue un vice de procédure majeur qui peut être invoqué pour contester la rupture du contrat devant le Conseil de prud'hommes.
L'abandon de poste n'est pas toujours une faute grave
Cour de cassation, Chambre sociale, 17 janvier 2024 (Pourvoi n° 22-24.589)
Les faits : Un acheteur stratégique, avec 22 ans d'ancienneté et un dossier disciplinaire vierge, s'est absenté sans justification après un refus de rupture conventionnelle. Son absence était motivée par la nécessité d'assister sa mère âgée et malade, une situation connue de l'employeur. L'entreprise l'a licencié pour faute grave.
Ce qu'a dit le juge : La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d'appel qui a écarté la faute grave. Elle a jugé que, même si l'absence était injustifiée et constituait une faute, elle ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Pour cela, les juges ont pris en compte le contexte global :
La longue ancienneté du salarié.
Son absence totale d'antécédents disciplinaires.
Les raisons personnelles et familiales impérieuses à l'origine de l'absence.
En pratique : Cette décision rappelle que, même en cas d'abandon de poste avéré, la qualification de faute grave n'est pas automatique. L'employeur doit procéder à une analyse au cas par cas. Un salarié avec une forte ancienneté et un passé irréprochable, confronté à des difficultés personnelles, aura plus de chances de voir la faute "simple" retenue, ce qui lui ouvre droit aux indemnités de licenciement et de préavis.
Un manquement de l'employeur peut justifier l'abandon de poste
Cour de cassation, Chambre sociale, 14 novembre 2024 (Pourvoi n° 22-23.901)
Les faits : Plusieurs ouvriers agricoles avaient cessé de se présenter au travail après un différend avec leur employeur concernant le paiement d'heures supplémentaires et le travail le week-end. L'employeur les a licenciés pour abandon de poste et faute grave, affirmant qu'ils avaient quitté leur travail sans autorisation. Les salariés, eux, soutenaient que l'employeur leur avait demandé de ne plus venir.
Ce qu'a dit le juge : La Cour de cassation a cassé la décision de la cour d'appel qui avait donné raison à l'employeur. Elle a rappelé un principe fondamental : c'est à l'employeur de prouver qu'il a bien fourni du travail au salarié. Si le salarié se tient à la disposition de l'employeur et que ce dernier ne lui donne pas de travail (ou ne peut pas prouver que le salarié a refusé de travailler), l'absence n'est pas imputable au salarié. Le refus de reprendre le travail peut être légitimé par un manquement grave de l'employeur à ses propres obligations (comme le non-paiement de salaires ou la non-fourniture de travail).
En pratique : Un salarié ne peut pas simplement cesser de travailler en invoquant un manquement de son employeur. Cependant, si le manquement est suffisamment grave (par exemple, non-paiement répété du salaire, conditions de travail dangereuses, harcèlement), l'abandon de poste peut être analysé comme une prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. C'est une stratégie risquée qui nécessite l'avis d'un avocat.
Le refus d'un salarié de reprendre le travail peut être légitimé par un manquement grave de l'employeur à ses obligations contractuelles ou légales.
À retenir : Malgré la nouvelle présomption de démission, les tribunaux continuent d'exercer un contrôle approfondi. Ils examinent attentivement le respect scrupuleux des procédures par l'employeur (notamment le contenu de la mise en demeure) et les circonstances spécifiques de chaque situation (contexte personnel, manquements de l'employeur). La rupture du contrat de travail n'est jamais totalement automatique.
Questions fréquemment posées sur l'abandon de poste
Peut-on vraiment aller en prison pour abandon de poste ?
Non, dans la grande majorité des cas. L'abandon de poste n'est pas une infraction pénale en soi. Des poursuites pénales ne sont envisageables que dans des circonstances très spécifiques où l'abandon met directement en danger la vie d'autrui ou s'accompagne d'autres infractions pénales distinctes.
Comment prouver qu'il n'y a pas eu abandon de poste ?
Pour contester une accusation d'abandon de poste, vous devez :
Présenter des justificatifs de votre absence (certificats médicaux, convocations officielles)
Démontrer que vous avez tenté d'informer votre employeur
Prouver, le cas échéant, que votre absence était liée à des manquements de l'employeur
Conserver les preuves de toute communication avec votre employeur
L'abandon de poste est-il toujours considéré comme une faute grave ?
Non. La qualification de faute grave dépend des circonstances spécifiques : la durée de l'absence, ses conséquences sur l'entreprise, les antécédents du salarié, et le contexte de l'abandon. Dans certains cas, il peut être qualifié de cause réelle et sérieuse de licenciement sans constituer une faute grave.
Peut-on contester une présomption de démission ?
Oui. La présomption de démission introduite par la loi de 2022 peut être contestée devant le Conseil de prud'hommes, qui doit statuer dans un délai d'un mois. Le salarié peut notamment invoquer un motif légitime d'absence ou des irrégularités dans la procédure de mise en demeure.
Quelles allocations peut-on percevoir après un abandon de poste ?
Avec la nouvelle législation, si l'abandon de poste est assimilé à une démission via la présomption légale, le salarié n'a généralement pas droit aux allocations chômage, sauf réexamen possible par France Travail après 121 jours de chômage non indemnisé. En cas de licenciement pour faute, les allocations restent accessibles, même en cas de faute grave.
Notre expertise à votre service
Face à une situation d'abandon de poste, qu'il s'agisse de défendre vos droits en tant que salarié ou de sécuriser juridiquement votre procédure en tant qu'employeur, notre cabinet Plouton vous propose un accompagnement sur mesure.
Pour les employeurs
Sécurisation juridique de vos procédures
Rédaction des mises en demeure conformes aux exigences légales
Conseil sur la stratégie à adopter (présomption de démission ou licenciement)
Défense de vos intérêts en cas de contentieux
Pour les salariés
Analyse de votre situation et des risques encourus
Contestation de la qualification d'abandon de poste
Défense contre une présomption de démission
Protection de vos droits aux allocations et indemnités
Ne prenez pas de risques face à une situation aux conséquences potentiellement graves.
Cet article a été rédigé par le cabinet d'avocats Plouton et mis à jour en Octobre 2025. Les informations juridiques qu'il contient sont susceptibles d'évoluer avec la législation et la jurisprudence.



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