Assassinat sur conjoint devant la Cour d'Assises de la Gironde : notre défense face aux accusations de préméditation
- Julien Plouton - Avocat à la Cour

- 24 févr. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 sept.
Dans ce dossier douloureux et délicat d'assassinat sur un conjoint, notre Cabinet a été confronté à l'un des défis les plus complexes du droit pénal : défendre un homme qui reconnaissait sa culpabilité tout en contestant la qualification retenue par l'accusation. Monsieur S. était jugé devant la Cour d'Assises de la Gironde du 17 au 19 février 2020 pour des faits commis le 4 février 2015. Cette affaire illustre parfaitement les enjeux cruciaux qui entourent les questions de violences conjugales et la nécessité d'une défense pénale rigoureuse face aux accusations les plus graves.
Les faits et l'intervention de notre Cabinet
Il n'était pas question pour la défense de contester la culpabilité de Monsieur S. En effet, ce dernier reconnaissait avoir commis un assassinat sur un conjoint sans pouvoir s'expliquer sur son passage à l'acte. Cette reconnaissance des faits, loin de simplifier notre mission, nous plaçait face à un défi juridique majeur : comment défendre efficacement un client qui assume sa responsabilité dans un crime aussi grave ?
La particularité de cette affaire résidait dans les circonstances entourant le passage à l'acte. Monsieur S. arguait d'une amnésie consécutive à une prise médicamenteuse et d'une tentative de suicide après les faits. Ces éléments, loin d'être anecdotiques, constituaient le cœur de notre stratégie défensive. Ils soulevaient des questions fondamentales sur l'état mental de notre client au moment des faits et sur sa capacité de discernement.
Notre positionnement était clair : si les faits matériels ne pouvaient être contestés, les circonstances de leur commission et l'état psychologique de l'accusé devaient être minutieusement analysés. Cette approche nous permettait d'aborder la question centrale qui allait dominer les débats : celle de la préméditation.
La procédure et les arguments développés
C'est donc la question de la préméditation et du discernement de l'accusé qui était au cœur du débat judiciaire lors de ce procès criminel. L'accusation soutenait que l'accusé n'était atteint d'aucune abolition du discernement au moment des faits. Elle se basait sur les rapports d'expertises psychiatriques et médico-légaux. Ces derniers indiquaient que la prise médicamenteuse avait pu avoir lieu après le crime et juste avant sa tentative de suicide.
Face à cette thèse accusatoire, notre défense a développé une argumentation rigoureuse. Il était pourtant parfaitement possible d'envisager une prise de toxiques antérieurement aux faits. Ainsi, certaines déclarations de témoins ayant vu l'accusé lors de son départ de son domicile allaient dans ce sens. De même, le rapport d'expertise toxicologique ne permettait pas d'exclure une telle hypothèse.
Monsieur l'Avocat Général insistait dans son réquisitoire sur le passé de violences de l'accusé à l'égard de ses anciennes compagnes. Il présentait son parcours de vie comme la "chronique annoncée d'un féminicide, d'un assassinat sur un conjoint". Il requérait à son encontre la réclusion criminelle à perpétuité en reprenant la thèse des parties civiles. Lesquelles avaient soutenu que la dernière relation sexuelle pouvait avoir eu lieu sous la contrainte d'une arme. Pourtant l'accusé n'était pas poursuivi pour de tels faits.
Quant à la défense, elle soulignait que ces réquisitions ne laissaient aucune place à l'existence de circonstances atténuantes. Qui pourtant lui semblaient bien réels comptes tenu de l'enfance carencée de l'accusé et de sa volonté de s'amender en recourant à des traitements pour canaliser ses angoisses.
Enfin, Maître Plouton rappelait que les faits avaient manifestement été commis par un homme qui n'était pas lui-même et dont le discernement soulevait une question, et que la préméditation paraissait difficilement compatible avec un acte commis sous une intense émotion. Dans un contexte social marqué par une forte mobilisation de l'opinion publique sur la question des féminicides, Maître Plouton a énoncé sa crainte d'un "verdict rendu pour l'exemple".
La décision et ses enseignements
Finalement, la Cour d'Assises décidait de condamner Monsieur S. à une peine de 30 ans de réclusion criminelle. Cette décision, bien qu'elle sanctionnât sévèrement les faits commis, constituait néanmoins une victoire relative pour la défense. Nous avons ainsi pu éviter une condamnation à réclusion criminelle à perpétuité à notre client pour ce crime d'assassinat sur conjoint.
Cette condamnation à 30 ans de réclusion criminelle plutôt qu'à la perpétuité revêt une importance capitale. Elle signifie que la Cour a reconnu l'existence de circonstances atténuantes dans cette affaire. L'enfance carencée de notre client, sa volonté manifeste de s'amender par le recours à des traitements, et les questions soulevées quant à son état de discernement au moment des faits ont été prises en considération par les jurés.
Plus fondamentalement, cette décision préserve ce que Maître Plouton considérait comme essentiel : "Sa capacité à s'amender, sur le long terme, n'est ainsi pas écartée". Cette perspective de réinsertion, même lointaine, constitue un élément crucial dans notre conception de la justice pénale. Elle témoigne de la possibilité, même dans les affaires les plus graves, de concilier la nécessaire sanction des faits avec l'espoir d'un amendement futur.
Cette affaire illustre parfaitement les défis auxquels notre Cabinet est confronté dans la défense des dossiers de violences conjugales les plus graves. Elle démontre l'importance d'une analyse minutieuse des circonstances de chaque affaire, au-delà des faits bruts, pour identifier les éléments susceptibles d'éclairer la personnalité de l'accusé et les conditions de son passage à l'acte. Notre mission ne consiste pas à nier la gravité des faits, mais à garantir que chaque accusé bénéficie d'une défense pleine et entière, respectueuse de ses droits et attentive à sa situation personnelle.



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