Maison d’arrêt de Gradignan : relaxe pour le surveillant de prison

 

Relaxe pour notre client, surveillant à la prison de Gradignan

Tribunal correctionnel de Bordeaux, 5eme chambre, 27 Septembre 2023

La maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan est désormais tristement célèbre:

  • pour sa surpopulation carcérale
  • et ses conditions de détention proches de l’insalubrité,

Cette situation est régulièrement dénoncée par le Contrôleur général des prisons. Et a d’ailleurs conduit quelques magistrats, en de trop rares occasions, a ordonné des décisions de remises en liberté sur le fondement de l’indignité des conditions de détention.

Le personnel de de l’administration pénitentiaire n’a pas été en reste en organisant:

  • plusieurs grèves pour souligner leurs conditions de travail particulièrement difficiles
  • des journées stop écrou afin de dénoncer le recours quasi systématique par certains juges à l’incarcération malgré les directives du ministère de la justice visant a favoriser les mesure alternatives afin de limiter la surpopulation carcérale

L’affaire  que le tribunal correctionnel a eu à juger le 27 septembre dernier regroupe tous ces ingrédients et constituait une fenêtre ouverte sur l’univers confiné du milieu carcéral.

Les faits poursuivis étaient sensibles, voir désagréables. Ils avaient justifié une attention particulière de la part du Procureur de la république et du Procureur général puisqu’ils mettaient notamment en cause des surveillants de l’administration pénitentiaire. C’est d’ailleurs à l’initiative du Procureur adjoint de la république que la procédure initiale, qui s’était quelque peu enlisée, était relancée. Et aboutissait à des poursuites visant 2 détenus de la maison d’arrêt de Gradignan, mais également, ce qui est plus singulier, 3 surveillants de ce même établissement pénitentiaire.

Le détenu était poursuivi pour des violences aggravées sur un codétenu.

Il s’agissait en réalité de 2 scènes de violences distinctes, commises à quelques semaines d’intervalles, sur la même victime. Les secondes violences, d’un point de vue chronologique, étaient en réalité les plus graves puisqu’elles avaient généré pour la victime, une fracture de la mâchoire et 21 jours d’ITT pénale.

Elles étaient intervenues alors que l’agresseur sortait d’une commission discipline et qu’il croisait sa victime dans les couloirs de la maison d’arrêt a qui il reprochait de l’avoir dénoncé. Il profitait de cette confrontation pour lui porter un violent coup de poing à la mâchoire. Le personnel pénitentiaire n’avait pas le temps de réagir. Cette agression s’inscrivait dans un contexte de tension bien particulier. Elle intervenait quelques semaines à peine après une première altercation entre ces deux détenus pour un motif qui constituait la principale zone d’ombre de ce dossier, mais qui était à l’origine de la poursuite des trois surveillants de prison.

En effet, quelques semaines plus tôt, ce même détenu avait pu pénétrer à l’intérieur de la cellule de sa future victime dans le but semble-t-il d’échanger avec le second occupant de la cellule.

Cette immixtion impromptue était mal perçue par le 1er occupant de la cellule, ce qui le conduisait à réagir de façon virulente avant d’être victime d’un coup de tête au visage qui lui occasionnait un saignement et quelques blessures légères. Mais la particularité de cette agression résidait dans le fait que cette dernière n’avait pu avoir lieu que grâce à l’intervention de 3 surveillants, dont l’un d’entre eux, notre client, avait ouvert cette cellule pour permettre au détenu d’y pénétrer.

La scène avait été intégralement filmé par les caméras de vidéosurveillance de l’établissement pénitentiaire.

L’enregistrement des caméras de vidéo surveillance était visionné à l’audience. On y voyait le détenu futur agresseur, s’entretenir avant l’agression avec le surveillant. Puis des mouvements d’étages. 

Et alors que la coursive était quasi déserte, les trois surveillants se dirigeaient vers une cellule, l’un d’entre l’ouvrant alors avec son trousseau de clés. Ils laissaient y pénétrer le détenu qui les avait suivi. Une discussion plutôt paisible semblait commencer entre détenus, avant que l’un des occupants de la cellule ne tente de refermer la porte ce qui manifestement était à l’origine du début de la scène de violence.

Les surveillants tentaient d’intervenir, puis séparaient les belligérants avant que l’un d’entre eux, notre client, ne sonne l’alarme. Les caméras filmaient alors ce qui semblait être une vive discussion entre les surveillants.

Les 3 gardiens de prison étaient poursuivis pour complicité de violences aggravées.

Il leur était notamment reproché d’avoir laissé le 1er détenu pénétrer dans une cellule qui n’était pas la sienne et d’avoir tardé à intervenir. Entendus par les enquêteurs à la suite de leur placement en garde à vue, ils reconnaissaient une faute professionnelle. Mais contestaient toute complicité dans la réalisation d’une agression, expliquant avoir été pris de court est dépassé par les évènements. 

Ils précisaient que leur intention initiale avait été de régler un différent opposant le détenu agresseur avec le second occupant de la cellule et qui impliquait également le surveillant qui avait ouvert la cellule, notre client. Ce surveillant était en effet victime de rumeurs propagées semble-t-il par le second occupant de la cellule qui lui imputait un trafic illicite de téléphone portable au sein de l’établissement pénitentiaire.

Le gardien de prison , vivement affecté par ces dénonciation calomnieuses, avait avisé sa hiérarchie quelques semaines plus tôt. La direction de l’établissement pénitentiaire avait déjà pris la décision de transférer ce détenu au sein du bâtiment central pour éviter toute mise en présence. Mais ce jour, là, compte tenu d’un manque d’effectif au sein du bâtiment central, notre client, avait lui meme été appelé sur ce bâtiment et s’était retrouvé au même étage que cet individu.

Le ministère public dans ses poursuites avait retenu la notion de préméditation, et ira même jusqu’à reprocher à notre client d’avoir choisi, a dessin, comme bras armé, un détenu particulièrement connu pour des faits de violences. Afin de mener par son intermédiaire, sa propre vengeance. Ce scénario d’un règlement de compte orchestré par un surveillant de prison semblait bien peu crédible et conforme aux éléments objectifs du dossier.

Nous avons en effet mis en évidence qu’aucune préparation n’avait pu avoir lieu dans la mesure où la présence de notre client sur le bâtiment central était totalement imprévisible quelques heures plus tôt.

Par ailleurs, le détenu finalement victime de violences n’était pas celui avec lequel le surveillant avait un contentieux. Mais son co détenu qui avait manifestement mal réagi au fait de voir sa cellule ouverte. Les images de vidéo surveillance ne mettaient pas non plus en évidence une agression directe, mais au contraire une discussion préalable, qui avait duré plus d’une trentaine de secondes, avant que la situation ne dégénère. Ce qui ne semblait pas coïncider avec un passage à l’acte prémédité, organisé, mais venait plutôt corroborer les dépositions des surveillants. Qui avaient reconnu une démarche peu conforme aux règles de l’administration pénitentiaire mais dans le but d’apaiser des tensions et non d’en créer de nouvelles. C’est sur cette base là que nous nous sommes situés pour développer la défense de notre client en soulignant également sa parfaite transparence. Puisqu’il avait alerté par écrit sa hiérarchie des difficultés qu’il rencontrait avec un détenu et qu’il avait, le jour des faits, clairement exposé à ses collègues le but de son intervention.

La situation avait manifestement dérapé, mais la présence des 3 surveillants à l’entrée de la cellule devait plutôt s’analyser comme la volonté de s’assurer du respect d’un certain cadre, plutôt que comme le fait de vouloir profiter d’un spectacle de violence, particulièrement inadapté dans une telle enceinte.

Notre client qui avait été depuis muté au sein d’un autre établissement, bénéficiait de parfaits états de service.

Tant  avant les faits pour lesquels il était poursuivi, qu’après ces faits, n’ayant pas hésité à plusieurs reprises à intervenir, pour sauver la vie de détenus ou apaiser des situations de conflit, ce qui lui avait valu les félicitations de sa hiérarchie. Sa personnalité ne correspondait ainsi manifestement pas au profil du surveillant corrompu qui règle ses comptes en détention par l’intermédiaire d’autres détenus.

C’est donc fort logiquement que nous avons sollicité sa relaxe.

En rappelant par ailleurs que si nous disposions des images des faits, la bande son était malheureusement absente ce qui privait le tribunal et la défense d’un élément essentiel pour éclairer ce dossier. Et qu’ainsi le doute devait bénéficier à notre client. Nous avons enfin soulevé le défaut de précision de l’acte de poursuite et sa singularité. En effet, la citation devant le tribunal correctionnel visait pour qualifier les faits de complicité des actes négatifs (absence d’intervention, laisser pénétrer dans la cellule). Le seul acte positif mentionné comme élément susceptible de caractériser le délit de complicité étant en réalité intervenu après les faits de violences. Ce qui posait une difficulté majeure sur le strict plan légal et la matérialisation de l’infraction.

Malgré ces difficultés, notre client devait faire face à des réquisitions lourdes soit prés de 2 années de prison assorties d’un sursis probatoire avec interdiction d’exercice de la profession de surveillant pénitentiaire.

Fort heureusement, le Tribunal tenait compte des zones d’ombres de ce dossier et relevait que la prévention dont il était saisi ne lui permettait pas d’entre en voie de condamnation. Il relaxait ainsi notre client et ses 2 collègues des fins de la poursuite. Mettant ainsi un terme a près de 3 années d’une longue et pénible attente compte tenu de l’enjeu de cette procédure judiciaire sur leur situation professionnelle.

 

 

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