Perte de chance de survie : le foyer médicalisé condamné pour le défaut de diagnostic du médecin salarié

Le cabinet obtient la condamnation d’un foyer d’accueil médicalisé pour manquement à son obligation contractuelle de sécurité.  

Le défaut de diagnostic du médecin salarié  de la structure, ayant occasionné pour la victime, adulte handicapé, un perte de chance de survie.

Et fait reconnaître que la recherche d’une responsabilité pénale via une constitution de partie civile devant un juge d’instruction interrompt la prescription de l’action civile en responsabilité médicale.

 

Tribunal Judiciaire de Bordeaux, 25 janvier 2024, RG n°18/08072

 

Il aura fallu plus de douze ans de procédure et neuf mois de délibéré à cette famille pour obtenir la reconnaissance de la faute médicale du médecin généraliste et de la structure d’accueil dans la prise en charge de Monsieur Y., décédé en octobre 2009 des suites d’une cardiopathie compliquée d’une infection généralisée.

 

La famille, qui avait alerté la structure d’accueil et l’équipe médicale sur une dégradation significative de l’état de santé de Monsieur Y durant plusieurs semaines, reprochait à la structure une faute dans la prise en charge du patient ainsi qu’un défaut de moyen diagnostic, aucune imagerie n’ayant notamment été réalisée pour permettre une prise en charge efficace qui aurait assurément pu éviter l’issue fatale de leur frère et fils.

 

La famille Y déposait plainte auprès du Procureur de la République le 21 octobre 2010.

 

Face à l’inaction des services d’enquête, la famille mandatait elle-même un expert afin d’effectuer une étude sur pièce du dossier médical de Monsieur Y et d’y déceler d’éventuelles fautes du corps médical et de la structure d’accueil.

 

Leurs doutes étaient confirmés, l’Expert relevant un défaut de moyen diagnostic.

 

Une information judiciaire était ouverte en juin 2012 contre X, près de trois ans après le décès de Monsieur Y du chef d’homicide involontaire.

 

Une expertise diligentée dans le cadre de l’enquête mettait également en évidence un défaut de moyen diagnostic, mais émettait d’importantes réserves sur le lien entre le défaut de diagnostic et le décès du patient.

 

Une ordonnance de non-lieu était finalement rendue.

 

La famille Y a alors saisi le cabinet aux fins d’intenter une action en responsabilité médicale.

 

L’action n’avait pu être valablement introduite dans le délai de prescription de dix ans applicable au contentieux de la réparation du dommage corporel (article 2226 du Code civil), dont le point de départ est classiquement le décès de la victime, hors cas d’interruption prévus aux articles 2240 et suivants du Code civil.

 

La prescription constitue une fin de non-recevoir que n’a pas manqué de soulever l’association responsable en l’espèce pour être à la fois l’employeur du médecin, mais également le gestionnaire du foyer d’accueil médicalisé, structure d’accueil de Monsieur Y.

 

Le Tribunal a écarté cette fin de non-recevoir au motif que :

 

« la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, intervenue le 3 septembre 2012, a eu pour objet de rechercher les responsabilités encourues dans la survenance du dommage. Dans ce cadre, une expertise judiciaire a en effet été ordonnée par le magistrat instructeur tendant à interroger les experts en ces termes : “Au cas où des manquements ou des fautes seraient constatés, en préciser les termes dans le développement de votre rapport ».

 

Aussi, s’il est exact que les consorts Y. n’ont présenté aucune demande indemnitaire dans le cadre de la procédure pénale, ce n’est qu’en raison de la délivrance d’une ordonnance de non-lieu les privant de la voie de la réparation civile à l’occasion de la procédure pénale. Toutefois, la recherche d’une responsabilité pénale doit s’analyser comme une demande en justice au sens de l’article 2241 du code civil dans la mesure où l’identification préalable des fautes commises était nécessaire afin de déterminer l’identité du ou des responsables, débiteur de l’indemnisation ».

 

Le Tribunal en déduit que la prescription a été interrompue le 3 septembre 2012, date de la constitution de partie civile de la famille Y, pour se terminer le 3 septembre 2022.

 

Cette motivation, qui s’inscrit dans un contexte très spécifique, est peu retrouvée en jurisprudence. Elle n’en est non moins intéressante et permet de préserver les droits des victimes qui souffrent des lenteurs de la procédure pénale, nonobstant l’absence de mise en cause d’un auteur déterminé dans le cadre d’une procédure contre X, dès lors que les investigations ont été diligentées dans le but d’identifier les éventuelles fautes commises dans la prise en charge médicale de la victime.

 

  • La responsabilité contractuelle de l’association retenue et l’indemnisation allouée aux victimes

 

L’action en responsabilité contractuelle de la famille Y contre l’association gérant le foyer, et employeur du médecin de la structure, étant déclarée recevable, le Tribunal a retenu l’existence d’un défaut de moyens diagnostics, en se fondant sur les deux rapports d’expertise, amiable et judiciaire.

 

Le Tribunal retient également que ces fautes sont, dans une certaine mesure, en lien direct et certain avec le décès de Monsieur Y et retient ainsi une perte de chance de survie.

 

La perte de chance, consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 18 mars 1975, se définit comme étant la privation d’une probabilité raisonnable de la survenance d’un événement positif ou de la non-survenance d’un événement négatif.

 

La perte de chance se situe ainsi à mi-chemin entre le dommage certain, qui est indemnisable, et le dommage incertain, non indemnisable puisque l’indemnisation ne peut jamais être égale à l’avantage qui aurait été tiré si l’événement manqué s’était réalisé.

 

Les juges du fond appliquent un taux de perte de chance qui vient s’appliquer au montant de l’indemnisation due à la victime.

 

L’association a été déclarée responsable du préjudice subi tant par Monsieur Y que par sa famille et a été condamnée à indemniser les victimes.

 

Le Tribunal a indemnisé ainsi les souffrances endurées par le défunt, entrées dans son patrimoine avant son décès, et perçu in fine par les ayants droits de la victime.

 

Le Tribunal a également indemnisé les proches de Monsieur Y. de leurs préjudices d’affection et d’accompagnement qui visent à réparer leurs préjudices personnels en qualité de victimes indirectes des fautes commises par l’association dans la prise en charge de leur résident.

 

Après application du taux de perte de chance fixé à 20%, c’est une somme de près de 35 000 € qui a été allouée aux victimes et qui devra être prise en charge par l’association.

 

L’association n’a pas interjeté appel de la décision qui est désormais définitive.

< Retour