Féminicides et suicide de l’auteur : un double abandon des familles
- Cabinet Plouton
- 1 sept.
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Dernière mise à jour : il y a 7 jours
Victime de féminicide, elle n'était n’était pas en couple avec son meurtrier.
En septembre 2022, le corps sans vie de Madame S, âgée de 58 ans, est retrouvée allongée dans le canapé clic clac du salon d’un appartement situé sur la commune de Saint-Raphaël. À ses côtés git un homme de 80 ans qui s’est manifestement donné la mort par arme à feu. C’est le fils de cet octogénaire qui a prévenu la police de sa terrible découverte. Son père lui avait adressé la veille au soir un message lui demandant de passer à son appartement le lendemain matin, car il avait fait une « grosse bêtise ». Le médecin Légiste, dans son rapport d’autopsie, révélera que le corps de Madame S présentait de multiples traces de coups au visage et que son décès est dû à une asphyxie mécanique liée à une violente strangulation.
Les enquêteurs concluront que l’homme, après une dispute avec sa compagne, l’a étranglé avant de mettre fin à ses jours. L’affaire sera évoquée dans la presse comme constituant le 82 -ème féminicide de l’année 2022. Et il sera effectivement fait état d’un couple dont la dispute a « mal tourné ».
Mais la victime n’était pas en couple avec cet homme, veuf et âgé de 22 ans de plus qu’elle. Qui était atteint d’un cancer grave pour lequel il se savait condamné, ayant refusé tout processus thérapeutique. Elle l’avait rencontré un an auparavant, via une association de quartier dont elle était adhérente et qui mettait en relation des résidents, avec de nouveaux arrivants, notamment des personnes âgées. L’attention des enquêteurs ne sera pas alertée par le fait que l’appartement a été scrupuleusement et méthodiquement rangé par l’auteur des faits avant qu’il ne se donne la mort. Les téléphones portables du meurtrier et de sa victime seront saisis, mais ne seront jamais exploités par la police qui les restituera à chacun de leurs enfants. Le téléphone de la victime contenait pourtant de nombreux messages où elle demandait instamment à cet homme de cesser de la harceler. La rapide enquête de voisinage ne viendra aucunement étayer la thèse du couple qui n’existait manifestement que dans l’esprit de cet octogénaire. Une des filles de la victime, qui avait rencontré cet homme, le décrira comme particulièrement contrôlant et insistant à l’égard de sa mère, qui avait joué le rôle d’accompagnante, semblait dépassée par cette situation dans laquelle il n’y avait, pour elle, aucune ambiguïté.
Les enfants de Madame S apprendront le décès de leur mère près d’une semaine plus tard, par voie de presse. À ce trauma s’ajoutera la stupeur quant à cette relation sentimentale qui lui est prêtée avec son meurtrier. Une assertion malvenue et douloureusement vécue par ses enfants. Puisqu’elle vient consacrer, à titre posthume, le désir de possession du meurtrier dont la frustration est probablement la cause de son passage à l’acte criminel.
Le double abandon des familles : Quand l'auteur se suicide
Cette affaire illustre cruellement le sort, trop souvent récurrent, des familles de victime de féminicide :
Un défaut criant d’information de la part des services d’enquête
Un accès tardif à la procédure via la délivrance d’un avis de classement sans suite en cas de décès de l’auteur des faits ou d’un avis à victime en cas d’ouverture d’une information judiciaire lorsque l’auteur a été interpellé et mis en examen.
L’absence d’enquête sérieuse et aboutie sur la personnalité et le contexte du passage à l’acte lorsque l’auteur s’est donné la mort, ce qui laisse les familles sans réponse à leurs nombreuses interrogations.
Or cette situation est très loin d’être marginale et constitue en réalité un schéma comportemental classique des auteurs de féminicides. Les chiffres du ministère de l’Intérieur (rapport annuel sur les morts violentes au sein du couple) et de la MIPROF (Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences) sont très clairs :
Chaque année en France, entre 20 % et 30 % des auteurs de féminicides se suicident immédiatement après le passage à l’acte.
Si l’on inclut les tentatives de suicide post-acte, ce chiffre monte à environ 40 %.
En résumé :
En France, approximativement un auteur de féminicide sur quatre se suicide après le passage à l’acte.
En ajoutant les tentatives, on atteint près de 4 cas sur 10.
En 2022, année du crime de féminicide dont Edith a été victime, les chiffres étaient les suivants (selon un Rapport du ministère de l’Intérieur) : sur 118 féminicides, 25 auteurs se sont suicidés (≈ 21 %) et 12 ont tenté de le faire.
En cas de suicide de l’auteur d’un féminicide, la famille de la victime se trouve privée d’un accès au juge pénal. Il n’y aura donc pas de dimension cathartique d’un procès pénal ni possibilité de se constituer partie civile dans le cadre préalable de l’information judiciaire ayant pour but la manifestation de la vérité en ce qui concerne le passage à l’acte lui-même et l’éclairage de la personnalité de l’auteur des faits.
Le rôle crucial de l'avocat : accès au dossier pénal, analyse de l'enquête et de la procédure en lien avec la famille, orientation vers des associations de victime/des professionnels de la justice restaurative, procédure d'indemnisation
Il nous apparait donc essentiel que les parquets incitent les enquêteurs à réaliser des investigations poussées au stade de l’enquête de flagrance et préliminaire. Des investigations s’agissant du passage à l’acte, mais aussi de son contexte humain. L’audition de la famille des victimes apportant souvent un éclairage essentiel sur ce dernier point et devant donc être réalisée au plus près des faits et non pas, comme encore bien souvent, à une distance certaine. Le rôle de l’avocat est également essentiel en pareille situation.
À l’issue du classement sans suite pour extinction de l’action publique, compte tenu du décès de l’auteur des faits, la copie de la procédure pénale pourra être délivrée au conseil de la famille de la victime. Qui pourra en restituer le contenu à cette dernière et répondre à ses interrogations. À ce stade, il est désormais impératif que soit par ailleurs analysé la question d’éventuelles responsabilités tierces et notamment des carences dans l’enquête ou le traitement de plaintes ou procédures antérieures qui pourraient fonder une action en responsabilité contre l’État ou contre certains professionnels.
Il sera également possible de proposer à la famille de la victime une mise en relation avec des associations de victime et/ou des professionnels de la justice restauratrice. Viendra enfin le temps de la procédure en indemnisation des souffrances et des préjudices endurées par la victime de son vivant et de ses proches à la suite de son décès, devant la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions pénales (CIVI).
Cette procédure prendra alors tout son relief, car il s’agira du seul accès à la justice encore possible pour la famille de la victime dont la présence à l’audience est prévue. Ce temps d’audience doit alors être l’occasion d’investir le contexte et de rappeler la personnalité de la personne décédée dans le cadre des demandes d’indemnisation et d’évaluation des préjudices.
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