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Perte de chance de survie : le foyer médicalisé condamné pour le défaut de diagnostic du médecin salarié

  • Photo du rédacteur: Julien Plouton - Avocat à la Cour
    Julien Plouton - Avocat à la Cour
  • 16 avr. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 févr.

Dans cette affaire, le Tribunal Judiciaire de Bordeaux a condamné un foyer d’accueil médicalisé pour un défaut de diagnostic, imputable au médecin salarié de la structure, qui a privé Monsieur Y., adulte handicapé, d’une chance raisonnable de survie. La décision, rendue le 25 janvier 2024 (RG n°18/08072), s’inscrit dans une procédure longue de plus de douze ans et met en lumière une innovation jurisprudentielle en matière d’interruption de la prescription en responsabilité médicale.

Contexte et Chronologie de l’Affaire

Les Faits et la Procédure Pénale

  • Décès et Manquement Médical :Monsieur Y. est décédé en octobre 2009 des suites d’une cardiopathie compliquée d’une infection généralisée. La famille avait alerté à plusieurs reprises la structure d’accueil et l’équipe médicale sur la dégradation de l’état de santé du patient, sans qu’aucun moyen diagnostique adéquat (comme la réalisation d’une imagerie) ne soit mis en œuvre.

  • Démarches Initiales de la Famille :La famille Y. dépose plainte auprès du Procureur de la République le 21 octobre 2010. Face à l’inaction des services d’enquête, elle mandate son propre expert qui confirme l’existence d’un défaut de moyen diagnostic.

  • Ouverture d’une Information Judiciaire :En juin 2012, une information judiciaire est ouverte contre X, poursuivant la recherche des responsabilités pénales pour homicide involontaire. Une expertise judiciaire est ordonnée, confirmant à nouveau le défaut de diagnostic tout en émettant des réserves quant au lien direct avec le décès.

  • Ordonnance de Non-Lieu et Constitution de Partie Civile :Une ordonnance de non-lieu est rendue. Toutefois, le 3 septembre 2012, la constitution de partie civile par la famille Y. – visant à rechercher les responsabilités encourues dans le dommage – interrompt la prescription de l’action civile en responsabilité médicale, celle-ci devant s’achever le 3 septembre 2022.

« La constitution de partie civile devant le juge d’instruction… s’analyse comme une demande en justice au sens de l’article 2241 du Code civil, permettant d’interrompre la prescription de l’action civile. »

La Responsabilité de l’Association

  • Responsabilité Contractuelle et Manquement de Sécurité :


    Le litige ne se limite pas au défaut de diagnostic du médecin salarié, mais engage également la responsabilité contractuelle de l’association qui gère le foyer d’accueil et emploie le médecin.

  • Rapports d’Expertise :


    Deux rapports, l’un amiable et l’autre judiciaire, constatent le défaut de moyens diagnostics et établissent un lien direct – quoique partiel – entre cette carence et le décès de Monsieur Y., mettant en exergue une perte de chance de survie.

La Décision du Tribunal

Responsabilité et Indemnisation

Le Tribunal Judiciaire de Bordeaux retient :

  • La Faute Médicale et Contractuelle :La structure a failli à son obligation contractuelle de sécurité en omettant de mettre en œuvre des moyens diagnostiques indispensables à la prise en charge du patient.

  • La Perte de Chance de Survie :Le défaut de diagnostic est reconnu comme ayant privé Monsieur Y. d’une probabilité raisonnable d’obtenir une prise en charge efficace.La perte de chance, concept jurisprudentiel établi depuis l’arrêt du 18 mars 1975, permet d’indemniser partiellement un dommage incertain.

  • Calcul de l’Indemnisation :Après application d’un taux de perte de chance fixé à 20%, le Tribunal condamne l’association à verser près de 35 000 euros. Cette somme couvre :

    • Les souffrances et préjudices corporels intégrés dans le patrimoine de Monsieur Y. avant son décès.

    • Les préjudices d’affection et d’accompagnement subis par les proches de la victime, considérés comme victimes indirectes.

Innovation Jurisprudentielle

La motivation du Tribunal se distingue par la reconnaissance que la recherche d’une responsabilité pénale – matérialisée par la constitution de partie civile devant un juge d’instruction – interrompt la prescription de l’action civile en responsabilité médicale. Cette approche, bien que rarement retrouvée en jurisprudence, vise à préserver les droits des victimes, même en cas de lenteurs probantes dans la procédure pénale. Conclusion

Après plus de douze ans de procédures et neuf mois de délibéré, la famille Y. obtient la reconnaissance de la faute médicale et du manquement du foyer d’accueil médicalisé. En s’appuyant sur des rapports d’expertise convergents, le Tribunal Judiciaire de Bordeaux a jugé que la constitution de partie civile interrompt la prescription, permettant ainsi d’ouvrir la voie à une indemnisation pour la perte de chance de survie de Monsieur Y. La décision, définitive et non contestée en appel, représente une avancée importante dans la protection des victimes d’erreurs médicales et de manquements contractuels.

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