Une saisie de meubles qui n’appartenaient pas aux débiteurs

Mandatés, les huissiers avaient saisi des meubles qui n’appartenaient pas aux débiteurs mais a une quinquagénaire, qui a saisi la justice. Le tribunal lui a donné raison.

Les huissiers devront restituer les meubles saisis à tort. Et payer des dommages et intérêts à une quinquagénaire qui n’avait pas voulu se laisser faire impunément. Ainsi en a décidé le tribunal de grande instance de Bordeaux dans sa décision du 18 mars dernier.

Jusqu’à l’an passé, et depuis décembre 2012, la femme qui traversait une période délicate, était hébergée à titre gratuit, et par intermittence, chez un couple de Mérignac, et chez une amie à Saint-Médard-en-Jalles. Elle avait installé des affaires personnelles dans les deux domiciles.

Mais le couple de Mérignac cumulait un important arriéré de loyers dus à un bailleur social. En juin 2012, le juge des référés du tribunal d’instance de Bordeaux avait constaté la résiliation du bail, fixé une indemnité d’occupation, ordonné de régler leur dette et décidé de leur expulsion.

Agissant en vertu de cette décision, le 20 mars 2013, une étude d’huissiers bordelais a fait signifier au couple un procès-verbal de saisie-vente avec ouverture de portes. L’homme et la femme se sont en effet déclarés insolvables. Comme la loi les y autorise, les huissiers étaient donc en droit de procéder à l’enlèvement des biens présents au domicile, de les vendre afin de trouver des liquidités pour payer le bailleur.

Écran plat de valeur, fauteuil en cuir, table ovale et chaises en fer forgé, meuble asiatique, commode, tête de Bouddha, collection de CDs, ont ainsi été saisis ce jour-là. « Le problème », explique Me Julien Plouton, l’avocat de la quinquagénaire, « c’est que, hormis le fauteuil en cuir, ces biens n’appartiennent aucunement aux débiteurs mais à ma cliente, tiers dans cette procédure de saisie-vente ! »

Avertis, les huissiers ont tout de même procédé à la saisie des meubles et CDs. Une mise en demeure adressée à l’étude d’huissiers, n’y a rien changé. La légitime propriétaire a donc demandé à la justice la restitution de ses biens retenus abusivement. Dans le jargon judiciaire, cela s’appelle une action en distraction. « Cela vise à soustraire le bien à la vente publique, bien sûr avant l’adjudication », traduit Me Plouton.

Car les biens d’une saisie doivent nécessairement appartenir au débiteur et non à un tiers. Encore faut-il pouvoir prouver son droit de propriété revendiqué ! La quinquagénaire a donc fouillé dans ses factures et produit tickets d’achat, bons de commande ou de livraison et attestations à l’appui de sa demande.

La femme hébergée par le couple n’aurait eu aucune connaissance de la procédure en cours. « Elle a été particulièrement choquée par la brutalité de la procédure qui la prive depuis plusieurs mois de la jouissance de ses biens mobiliers auxquels elle attache une valeur pécuniaire certes mais surtout affective », insiste son conseil. « Comme cette tête de Bouddha, cadeau de collègues de travail. »

Le juge de l’exécution a donc examiné tous les documents en sa possession. Certains justificatifs étaient clairs, d’autres plus vagues. Certains suffisaient pour faire droit à la demande de restitution, d’autres ont été écartés. Le juge a donc ordonné la « distraction » de l’écran plat, de la table et de la commode et débouté la quinquagénaire pour le reste. Le bailleur social et l’étude d’huissier devront donc rendre ce qui a été saisi abusivement et payer 600 euros de dommages et intérêts.

« C’est une décision rare et intéressante qui vient lutter contre des pratiques peu conformes avec la légalité en matière de saisie », se félicite Me Julien Plouton. « La faute des huissiers est reconnue. Le tribunal a condamné solidairement le bailleur et l’étude. C’est une décision de principe. Qui signifie en fait que des huissiers ne peuvent se présenter et se comporter comme des cow-boys sans tenir compte du droit de propriété.

Le cabinet Julien Plouton est spécialisé dans la défense pénale des affaires.


Sources : Sud Ouest

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