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Plaidoirie pour Chahinez

  • Photo du rédacteur: Julien Plouton - Avocat à la Cour
    Julien Plouton - Avocat à la Cour
  • 9 avr.
  • 15 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 avr.


Me Plouton durant le procès de Chahinez

Ce texte se veut être la plus fidèle retranscription de la plaidoirie qui a été prononcée le jeudi 27 mars 2025 devant La Cour d’Assise de la Gironde par Maître Julien Plouton.


Mais une plaidoirie ne se rédige jamais à l’avance, se prononce au fil de l’eau sur la base d’idées, de notes, des mots qui viennent sur l’instant.


La plaidoirie reproduite ci-dessous a donc été reconstituée sur la base de ces notes, de souvenirs personnels et des extraits retranscrits dans la presse.


Cour d’Assises de la Gironde - Bordeaux

Présidente : Mme BILLAUD

Affaire : ASSASSINAT – DESTRUCTION DU BIEN D’AUTRUI PAR UN MOYEN

 DANGEREUX POUR LES PERSONNES – RÉCIDIVE DE VIOLENCE AVEC ARME SANS INCAPACITÉ

N° de greffe : 24/0042 - 21-126-251


Avocate Générale : Mme KAUFFMAN

Dates d’audience : du lundi 24 mars 2025 (14h00) au vendredi 28 mars 2025 (09h00)


Avocats de la Défense

Me DIVOT Anaïs — Me BADESCU Elena


Parties civiles & Avocats Me PLOUTON Julien (avocat de plusieurs parties civiles, dont D. B., D. D née B., D. K.) — Me RAFFY Mathieu —  Me SAPATA Guillaume — Me POMMIES Marie






Plaidoirie pour Chahinez

par Me Julien Plouton





"

Le crime atroce dont a été victime Chahinez a ému et frappé d’effroi la France entière.


Il a fait d’elle un symbole, le symbole des victimes de violences conjugales et de féminicide.


Féminicide : le mot est lâché dans cette enceinte judiciaire.


Je dois vous dire que j’ai longtemps éprouvé une certaine réserve à manier ce terme qui ne figure pas dans le code pénal.


C’était ma pudeur de juriste….


Et puis j’ai fini par comprendre qu’il avait non seulement le mérite de sensibiliser l’opinion publique à la récurrence des crimes sur conjoint commis par des hommes sur des femmes.

Mais qu’il avait aussi l’intérêt de restituer au passage à l’acte criminel sa dimension sociétale.


Les ondes d’émotion générées par la mort de Chahinez se sont propagées jusqu’aux rives africaines de la Méditerranée.


Cette affaire, en effet, est suivi de près jusqu’en Algérie.

Ce pays a la longue histoire entremêlée à la nôtre et dont est originaire Chahinez.

Les autorités judiciaires algériennes ont d’ailleurs sollicité du magistrat instructeur français la délivrance d’une copie de la procédure.


Cette affaire est aussi suivie, là-bas, par des milliers de femmes courageuses qui se battent en ce moment même pour la reconnaissance de leurs droits humains fondamentaux et l’adoption d’un statut civil qui ferait d’elles les égales, en droit, des hommes.


Le martyre de Chahinez nous oblige…..


A nous poser les bonnes questions, à aller au-delà de l’acte.


Ce dossier, Mesdames et Messieurs les jurés, Madame, Monsieur de la Cour, 

Ce dossier Madame la Présidente, ce n’est pas simplement une question de qualification pénale, même si elle est essentielle pour les parties civiles et doit être au plus près du passage à l’acte, 

Ce dossier ce n’est pas seulement une question de discernement et de quantum de la peine.


Vous devez placer au cœur de votre délibéré les notions d’emprise et de contrôle coercitif qui sont les caractéristiques essentielles du comportement criminel de l’accusé.


Comme un leg pour les générations futures qui, peut-être un jour, s’intéresseront à cette procédure.

Pour dire surtout dès maintenant qu’elles sont une grille de lecture déterminante dans la prévention des violences intra familiales et des féminicides.

Pour qu’on ne puisse plus dire je ne savais pas, je n’avais pas compris.


Non, ce dossier n’est pas simplement la chronique d’un Fait divers.


Il faut aller au-delà de ce triste horizon.


C’est Christelle Taraud qui ouvre des perspectives dans son ouvrage « féminicides, une histoire mondiale ».

Et nous parle d’un continuum féminicidaire.


De l’antiquité la plus reculée en passant par les sorcières du moyen âge que l’on brulait déjà .. sur des bûchers ardents, 

Jusqu’au Mexique contemporain et ses crimes de femmes en série.

Elle nous invite à un voyage dans le temps et l’espace : Afrique, Asie, Amérique et bien sûr l’Europe.


Un voyage pour comprendre et pour dire que le crime sur conjoint commis par des hommes ne peut plus être réduit à « un simple fait divers ou à un dysfonctionnement au sein d’un couple ».

Mais qu’il doit être appréhendé comme la métastase agressive d’un système social patriarcal qui repose encore sur la domination et le contrôle des femmes.

Au niveau mondial 35% des femmes victimes de crime sont des femmes victimes de leur conjoint contre seulement 5 % pour les hommes.


C’est la raison pour laquelle il nous faut impérativement engager une réflexion collective sur la façon dont nous éduquons nos enfants.

Et particulièrement les jeunes garçons dont la sensibilité est encore trop souvent sacrifiée sur l’autel du culte d’une virilité toxique et abusive.

Et placer aussi au cœur de nos priorités la protection des mineurs exposés aux violences conjugales.


Le fils de Mounir Boutaa dont le témoignage vous a tous émus ne disait pas autre chose hier à cette barre.

« Mon père m’a éduqué en voulant faire de moi un Homme, sois dur mon fils, je n’ai jamais manqué de rien au niveau matériel mais il n’était pas présent et il pouvait être violent.

Moi ce que j’attendais de mon père c’était une présence rassurante » et un amour bienveillant….


Oui, il y a eu un avant et après Chahinez : 


Multiplication des matériels de protection, réflexion et réorganisation de la justice et des services de police pour une meilleure prise en charge des victimes et un partage d’information, formation et sensibilisation des acteurs de la chaîne pénale à la problématique spécifique des violences conjugales.


Tout a changé et pourtant rien ne change !


Je ne raffole pas des statistiques morbides mais les chiffres sont implacables : 

En 2024, 134 victimes de féminicides soit plus que l’année de la mort de Chahinez.

Le week-end qui a précédé l’ouverture de ce procès 2 nouvelles victimes …..et une autre encore il y a quelques heures pas loin d’ici en Dordogne.

Il y a quelques semaines, Nasrine Bensalem perdait la vie à son domicile sous les coups de couteaux répétés de son conjoint. 

Sur la commune de Cenon, celle-là même où réside aujourd’hui les parents de Chahinez. 

J’accompagne ses sœurs et sa mère dans le cadre de cette nouvelle information judiciaire.


Oui rien ne change !

Pourquoi ?

Parce que ce qui ne change pas, c’est le profil des auteurs. 

Qui en réalité est toujours le même !


Toujours le même déni,

Toujours la même banalisation de leur propre violence,

Toujours la même jalousie pathologique,

Toujours la même inversion des responsabilités et le même positionnement en victime,

Toujours la même incapacité à accepter la séparation vécue comme une atteinte à leur honneur, 

Toujours suivi du même effondrement narcissique,

Toujours l’absence totale d’empathie et de regrets,

Et encore et encore la volonté de contrôle et de domination.


En cela, Mounir Boutaa est la figure archétypale du féminicidaire.


Il a exercé sur ses deux compagnes successives pendant près de 20 années, un continuum de violence physique et psychologique dont le socle repose sur l’emprise et le contrôle coercitif.


L’emprise d’abord.


Que la magistrate Gwénola Joly-Coz évoque ainsi dans son ouvrage « elle l’a bien cherché » :


« le début est passionnel et fusionnel. Puis s’installe la critique, la dévalorisation et l’isolement de la famille et des amis considérés comme inappropriés. La victime relativise et cache la situation à ses proches. Arrivent les violences et le dépôt de plainte. Puis l’auteur revient pour s’excuser, demander pardon, ou même menacer de se suicider si la victime ne revient pas sur sa plainte. Il se présente en victime dans une logique d’inversion de la culpabilité. Il complimente à nouveau et insiste pour une poursuite de la vie commune, dont il promet qu’elle sera différente. Puis la roue tourne à nouveau… »


Vous aurez à l’esprit les dépositions à cette barre des sœurs de Chahinez qui vous ont dit qu’elle ne l’a pas épousée pour des papiers, qu’elle l’a aimé… au début. 

Qu’elle lui trouvait même des excuses et minimisait sa violence, vous vous souviendrez de ses excuses à lui et de ses supplications adressées depuis sa prison pour qu’elle accepte de reprendre la vie conjugale mais aussi du contenu de ses plaintes à elle.


Le contrôle coercitif ensuite.


Popularisé en France par la psycho-sociologue Andreea Gruev-Vintila dans son ouvrage « Le contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale » et qui sera peut-être, je l’espère, prochainement érigé en infraction pénale autonome.


Gruev-Vintila qui écrit : 


« Le contrôle coercitif désigne un schéma de conduites calculées et malveillantes déployées, presque exclusivement par les hommes pour dominer une femme, en entremêlant des violences physiques, répétées, avec des tactiques de contrôle, toutes aussi importantes. Il a des effets dévastateurs sur les droits et la santé des personnes victimes, il est un précurseur majeur des féminicides… »


Les violences physiques et psychologiques répétées vous les avez.

Et notamment la récurrence des étranglements sur ses 2 compagnes, dont les criminologues nous disent que lorsqu’elles sont couplées à des menaces de mort, ce qui était le cas pour Chahinez, alors tous les voyants sont au rouge car cette conjonction est la matérialisation de la potentialité du passage à l’acte criminel.


Les tactiques de contrôle répétées….aussi.


Vous aurez à l’esprit la déposition de l’ancienne compagne de Mounir Boutaa, des amies et des parents de Chahinez.


De sa constante micro-régulation de leurs comportements. 


Leur habillage : pour Sévérine c’est « pull-over long permanent, hiver comme été », pour Chahinez ce sont les « jeans » qu’elle ne peut porter sous peine d’encourir l'insulte "suprême" car ils sont « trop près du corps »,

Leurs déplacements : surveillés, épiés, limités au strict nécessaire et suivis de comptes-rendus imposés,

Leurs fréquentations : la famille mais aussi les copines dont il décide rapidement qu’elles sont infréquentables. Quant au voisinage amical d’un autre homme c’est tellement impensable que cela relève du domaine de l’impensé,

Leur activité professionnelle : qui doit s’interrompre dés qu’elle a commencé surtout lorsque le patron est un homme,

La captation des ressources économiques : ce sont les parents de Chahinez qui rappellent : « il lui prenait tout, ses allocations, son salaire, il ne lui restait rien », 

L’éducation des enfants : ce n’est jamais assez bien,

L’instrumentalisation des procédures judiciaires : rappelez-vous l’expression utilisée par Séverine, ces « demandes extraordinaires » devant le JAF quand il finit par se présenter après des mois de silence et d’absence de contact avec les enfants. Et de sa réponse à ma question : « oui j’ai eu le sentiment que c’était pour me faire sentir que c’était encore lui qui décidait ». Lorsqu’il se présente au commissariat ce n’est pas pour se rendre après les violences mais pour dénoncer Chahinez qui l’aurait manipulé. Et quand il adresse un courrier à la Préfecture c’est pour faire obstacle à sa demande de regroupement familial pour son fils aîné, 

Le contrôle des documents administratifs : Chahinez encore qui évoque les passeports et titres de séjours confisqués puis brulés, les siens et ceux de sa fille alors âgée de 6 ans. Mais aussi l’arrêt imposé de sa démarche d’obtention du permis de conduire français pour limiter sa liberté d’aller et venir. 


Les enquêteurs de la MDSI de Mérignac, qui l’ont rencontré de son vivant, parleront d’un « vécu quotidien de menaces et d’enfermement ».

Et poseront le postulat que son désir maternel de regroupement familial est utilisé comme « moyen de contrôle par son conjoint ».


Vous aurez aussi à l’esprit les dépositions d’Anne et de Meriem, la voisine et l’amie, qui a elles seules disent tout de son vécu :


Anne : « elle avait peur, elle voulait juste la paix, et pour l’avoir, elle devenait docile »,


Meriem : « elle devait lui appartenir à lui et à personne d’autre ».


Dans ce dossier, les experts psychiatres nous ont beaucoup parlé de la paranoïa de l’accusé qui aurait pu, à un moment donné, décompenser sous forme de délire.


Permettez-moi de faire surtout le constat que cette paranoïa, jusqu’au passage à l’acte, était particulièrement orientée sur les femmes : sa 1ère compagne, sa belle-fille lorsqu’elle devient une jeune femme et qu’elle commence à prendre la pilule, et bien sur Chahinez.

Celle dont il vous a dit qu’il l’aimait plus que tout !


Les experts toulousains vous ont parlé de « délire passionnel » en citant une bibliographie de 1921.

Alors permettez-moi de vous parler d’un autre psychiatre qui est aussi criminologue.

J’avais quelques réticences à mentionner son nom, Etienne de Greeff, puisque ses écrits remontent aux années 50. 

Mais je me rends compte finalement que j’avais 30 ans d’avance … 

Et peut-être aussi 70 ans de recul pour faire le constat que rien ne change !


Ce psychiatre écrivait en effet déjà, à l’époque où le concept de féminicide n’était pas connu, 

où l’on ne parlait encore que de « crime passionnel », que précisément, le crime sur conjoint, n’est en rien révélateur de l’intensité de l’amour de l’auteur. 

Qu’un tel acte n’est jamais commis par amour.

Qu’il résulte toujours des insuffisances graves de la personnalité du criminel.


Le passage à l’acte criminel s’inscrit dans un processus au long cours de revalorisation et de dévalorisation de la femme victime.

Revalorisation d’abord de la femme qui consiste à lui attribuer toutes les qualités, indépendamment de sa personnalité réelle. 

Ce mécanisme n’étant pas généré par l’amour. 

Mais par la jalousie de l’auteur.


Puis vient la dévalorisation.

Qu’il définit comme :


« la dépréciation progressive de la future victime, qui prend le caractère d’une véritable construction mentale, systématique, implacable, la réduisant, peu à peu à l’état d’un être démoniaque, porteur de tous les défauts, et contre qui les réactions les plus graves, s’expliquent et se justifient. »


Vous aurez à l’esprit la déposition de Séverine, l’ex-compagne de mounir Boutaa qui vous parlait de son amour disproportionné quand tout allait bien. 

Vous aurez à l’esprit les mots de l’accusé décrivant Chahinez comme « le diable en personne ».

Mais également les mots des experts : légiste, psychiatres, psychologue, s’agissant du caractère organisé et implacable de son passage à l’acte.


De Greeff qui finit pour nous parler du profil psychologique de ces hommes criminels par cette conclusion :


« Tout cœur bien né approuve avec élan cette maxime de La Rochefoucauld : on pardonne tant qu’on aime. Chose curieuse, celui qui tue son conjoint est aussi de cet avis. Non pas certes pour ce qui est de l’acte précis qu’il a lui-même commis, mais d’une façon générale. Il estime notamment que la victime aurait dû lui pardonner certaines choses qu’elle lui reprochait. Il considère qu’elle aurait dû lui pardonner au moins autant que lui-même ne le faisait. Mais c’est toujours lui qui était bon. C’est toujours lui qui oubliait et finalement il a été victime de sa bonté. La première résolution qu’il a prise en rentrant en prison, c’est de ne plus être aussi bon car c’est à cause de cela que l’amour l’a conduit aussi loin. »


Ce sont mots pour mots, à quelques virgules prêtes, les propos qu’a pu tenir Mounir Boutaa. 

Tant devant le magistrat instructeur qu’aux experts qui l’ont examiné que devant cette Cour : 

C’était lui qui l’aimait, qui lui pardonnait et qui souffrait, lui, mounir « le gentil », mounir le « gentleman » et de conclure près de 4 années après les faits :


« avec tout le mal qu’elle m’a fait »….


Son passage à l’acte criminel s’inscrit bien entendu dans cette logique implacable et cette lente transformation.

Les violences séquencées qu’il a exercé sur le corps de Chahinez sont tellement au-delà de celles strictement nécessaires à donner la mort qu’elles démontrent non seulement la volonté de tuer mais d’annihiler et d’effacer le corps d’une femme. 


Alors comment parler du corps, du corps des femmes et de ce qu’il suscite ?


Peut-être avec les mots du poète grec Constantin Cavafy :


« Corps, souviens-toi, non seulement de l’ardeur avec laquelle tu fus aimé, non seulement des lits sur lesquels tu t’es étendu, mais de ces désirs qui brillaient pour toi dans les yeux et tremblaient sur les lèvres, et qu’un obstacle fortuit à empêcher d’être exaucé. Maintenant que tout cela appartient au passé, il semble presque que tu t’y sois abandonné. Corps souviens-toi de ces désirs qui brillaient pour toi dans les yeux et tremblaient sur les lèvres. »


Cela nous dit beaucoup de la relation au corps des femmes de l’accusé et de son désir qui le rend fou. 

Les experts sur mes questions nous ont parlé de relation particulièrement éruptive. 

Concept pudique qui fait écho aux mots de Chahinez et de Séverine qui toutes deux évoquaient dans leurs auditions son désir insatiable et certains rapports contraints.


De son incapacité aussi à accepter que ce corps puisse faire l’objet du désir d’un autre.

Et de son obsession pour l’amant qui n’existe que dans son imagination la plus jalouse.


Ce passage à l’acte est une tentative de reprise de contrôle sur ce corps qui lui échappe.

Vous avez vu ces images particulièrement difficiles, les conséquences de son acte qui ont effacé jusqu’aux traits même du visage de sa victime.


Effacer le corps et le visage de la femme et ce qu’il représente et abrite : son âme, un esprit.

Un esprit courageux qui avait su trouver la force de dire : ça suffit ! non ! plus jamais.

Qui avait su trouver le courage de déposer plainte et de dénoncer à plusieurs reprises les violences, les menaces de mort et qui, comble de l’outrage patriarcal, avait lancé en Algérie, cette procédure de divorce dont sa famille est absolument persuadée qu’elle a été le dernier élément déclencheur du passage à l’acte.


Ce passage à l’acte, les experts vous l’ont dit, est contrôlé, organisé, maîtrisé.

Il caractérise sans la moindre difficulté la préméditation non seulement par anticipation, mais par guet-apens.

Je ne reviendrais pas sur l’ensemble des éléments matériels, largement évoqués dans le cadre des débats, qui caractérisent cette préparation. 

Je préfère vous laisser avec les mots d’Hervé Bazin dans « Vipère au Poing ».: 

« la haine, beaucoup plus encore que l’amour, ça occupe »…..


Mais avant de conclure, il me faut encore vous parler de l’enfance.


Car ce dossier ce n’est pas simplement celui d’une femme qu’on assassine, c’est aussi celui de l’enfance, de l’adolescence qu’on assassine.


Je veux ici dire quelques mots pour les enfants de Séverine, la première campagne de Mounir Boutaa dont les dépositions à l’audience, nous ont tous bouleversé. 

Ils portent encore sur leurs fragiles épaules le poids de la culpabilité de leur père. 

Quitte d’ailleurs à minimiser ou banaliser les violences dont ils ont eux-mêmes été victimes.

Cela nous dit toute la déflagration d’un tel passage à l’acte et nous pouvons les entendre lorsqu’ils viennent nous dire, qu’ils sont aussi les victimes indirectes de cet acte.


Mais je pense aussi, bien sûr, aux 3 enfants de Chahinez.

Comment parler de leur enfance qui s’est arrêtée le soir du 4 mai 2021 ?


Moi, l’enfance ça m’a toujours bouleversé, et quand on est bouleversé, les mots ne viennent pas alors on a recours à ceux des autres.


Christian Bobin a écrit que « le visage d’une mère est pour l’enfant, son premier livre d’image ».

Le visage de Chahinez, sa présence maternelle, voilà ce dont ces enfants ont été privés, un livre de vie qui a été brûlé dans un autodafé sanguinaire.


Saint-Exupéry, qui écrivait « qu’on est de son enfance comme on est d’un pays ».

Pour dire que l’enfance est un territoire, une cartographique que l’on emporte avec soi toute sa vie et qui est peut-être la seule chose qui nous reste de vraiment précieux lorsqu’il faut quitter ce monde. Un territoire presque vierge qui a été ravagé par un tsunami de violence.


Natacha Appanah, dans « tropique de la violence » qui s’interroge : 

« qu’est ce qu’on sait de nos cœurs et de ces choses de notre enfance qui nous rattrapent par la cheville et nous retournent brusquement. » 

Et qui pose avec ces mots cette question que nous nous sommes toutes et tous posés en pensant aux enfants de Chahinez. 

Comment fait-on pour se construire en tant que jeune homme, en tant que jeune femme, lorsque notre enfance a été fracturé par un tel acte ?


Pour dire aussi le regard de ces grands-parents qui élèvent aujourd’hui les enfants de leur fille.

Qui ont quitté leur retraite paisible sur les bords de la Méditerranée, abandonnant au pied levé leurs enfants et autres petits-enfants pour s’installer ici dans ce pays qu’ils ne connaissaient pas et dont ils parlaient à peine la langue.

Sachez-le bien, ce n’est pas une migration voulue ou espérée. C’est une migration contrainte et forcée, précipitée. 

Pour faire vivre aujourd’hui la volonté de leur fille d’offrir à ses enfants, le meilleur avenir possible, ici en France.


Oui, j’ai à l’esprit le regard de ces grands-parents qui m’a frappé lors de mes visites à leur domicile. 

Regard bien entendu rempli d’amour et de bienveillance vis-à-vis des enfants qui déambulent dans l’appartement.

Mais regards aussi mêlés d’angoisse, regards qui scrutent le moindre signe, le moindre frémissement d’un mal être profond qui pourrait rejaillir à distance.


C’est cela aussi les conséquences de cet acte, l’attente et l’angoisse. 

C’est également le déclassement social vécu par ces enfants, qui ont dû abandonner la jolie maison avec jardin, et qui se retrouvent aujourd’hui privés des ressources de leur mère.

Une mère qui a toujours eu la volonté de travailler en France pour subvenir à leurs besoins et à leur éducation.

 

Il a été beaucoup question de la reconstitution criminelle et des analyses techniques qui en ont découlé.

Je me souviens très bien de cette reconstitution.


Elle a été réalisée à distance des faits, mais presque à la même date, à la même saison.

C’était, je crois, une volonté du magistrat instructeur, afin d’être au plus proche des conditions du passage à l’acte.


Je me souviens que le ciel était bleu, qu’il faisait beau et presque chaud, des oiseaux chantaient dans les jardins en fleurs et des enfants jouaient aux coins des rues. 


Et nous étions les uns et les autres presque dissociés,

Et il nous a fallu fournir un effort intellectuel certain pour comprendre et accepter que cet acte-là avait effectivement été commis en plein milieu de cette rue là, dans ce cadre-là, si tranquille et serein.


Mais ce qui m’a le plus profondément marqué, c’est quand il nous a fallu pénétrer à l’intérieur la maison de Chahinez.

Un intérieur recouvert de cendres mais dont l’ordonnancement parfait nous a fait prendre conscience de sa volonté annihilée d’en faire un foyer et un nid d’amour pour ses enfants.


Les experts ont emprunté l’escalier qui mène à l’étage, aux chambres, vous avez vu tout cela sur les images diffusées dans le cadre des débats.

Moi, mes pas sont restés figés sur le palier. 


Car mon attention s’est arrêtée sur les trois papillons luminescents collés au mur, juste au-dessus de la rambarde.

3 papillons alignés dans une diagonale parfaite, dirigée vers l’étage, vers les chambres et peut-être aussi vers le ciel.

Un petit papillon, un moyen et un grand papillon.


Et j’ai compris que ces trois papillons, c’était Chahinez qui les avait posé là. 

Et qu’ils représentaient ses trois enfants.


Certaines mères vont par amour pour leurs enfants jusqu’à se faire tatouer leurs prénoms sur la peau.

D’autres en écrivant, les représentent par des symboles, des étoiles.

Chahinez avait choisi des papillons….


Alors, il est temps que ces papillons soient lavés de la suie qui les recouvre, 

et qu’ils déploient leurs ailes.

Pour s’envoler, loin de cette maison au triste souvenir. 


Il est temps qu’ils déploient leurs ailes et s’envolent le plus loin possible, et peut-être aussi le plus longtemps possible, de Mounir Boutaa.


Qu’ils s’envolent loin de sa violence, de sa haine et de sa peur…. des Femmes.

"

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